par Emmanuel Tibloux, président de l’ANdÉA

Régulièrement, des groupes humains partageant des préoccupations, des valeurs et des activités communes aspirent à se réunir pour débattre, faire le point et dégager l’horizon de leur action. Parfois une publication en témoigne, qui vise à restituer et rendre public ce temps de réflexion. C’est là ce qu’on appelle communément – et étrangement quand on y songe – des actes. Ainsi en va-t-il de ce volume, qui s’attache à rendre publics les interventions et les débats qui eurent lieu pendant les deux journées, les 29 et 30 octobre 2015, où nous fûmes réunis en assises à l’initiative de l’ANdÉA, Association nationale des écoles supérieures d’art, sur le site de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon et des Subsistances, autour de l’intitulé « Demain l’école d’art ».

Derrière ce « nous »

Derrière ce « nous », ce sont 450 personnes qui vinrent prendre la parole, dresser l’oreille et échanger sur la situation et l’horizon de ces institutions complexes et passionnantes, nécessaires et fragiles, positionnées à la croisée du champ de l’enseignement supérieur et de la création artistique, des politiques territoriales et de la politique nationale, que sont les écoles supérieures d’art publiques. Il y avait là bien sûr la communauté des écoles d’art, composée de professeurs, d’étudiants, de directeurs, d’administrateurs, de techniciens et de représentants des différents services qui composent nos établissements : études, recherche, bibliothèques, relations internationales, communication, insertion professionnelle, gestion, développement. Étaient présents également d’autres acteurs qui, s’ils ne partagent pas le quotidien de l’école d’art, partagent du moins un intérêt majeur pour celle-ci : des présidents de nos conseils d’administration, qui sont ou bien des élus territoriaux ou bien des personnalités qualifiées, des artistes et des designers, des commissaires d’exposition, des critiques d’art, des représentants de centres d’art, de galeries, de fondations ou de services culturels, des intellectuels, des universitaires, des représentants du ministère de la Culture et la Ministre elle-même, Fleur Pellerin, qui nous fit l’honneur de venir clore nos assises.

Un parti pris éditorial

Un parti pris éditorial nous a guidés pour construire cette publication : celui de réduire au maximum la distance entre l’événement et sa livraison. C’est dans cet esprit que nous nous sommes attachés à être aussi fidèles que possible à la structuration et au déroulé des assises, au contenu et à la tonalité des échanges, à la diversité des registres d’intervention. De même importait-il de réduire la distance temporelle, c’est là ce que nous faisons en publiant aujourd’hui ces actes, moins d’un an après l’événement, de façon à ce que la publication s’inscrive dans l’énergie de l’acte que furent ces assises. L’enjeu d’une telle manifestation n’est en effet pas seulement délibératif, il est aussi de faire corps et acte dans un contexte qui n’a jamais été aussi menaçant pour les écoles d’art. Toujours inquiétées dans leur modèle, par une logique de normalisation que leur vocation à produire de la singularité, de l’atypie et de l’altérité – qui sont autant de noms pour l’art – ne peut que contester, elles sont de surcroît, sous l’effet de la réduction des finances publiques et de choix politiques, en voie de disparition ou de précarisation croissante pour plusieurs d’entre elles. À l’heure où j’écris ces lignes, l’école d’art de Perpignan s’apprête à fermer ses portes, les écoles d’Avignon et de Chalon-sur-Saône sont fortement menacées et plusieurs autres écoles font l’objet de coupes budgétaires qui les fragilisent chaque année davantage.

Explication

Si l’inquiétude est sensible dans les discours, ce n’est pas pour autant sous le signe de l’alarme que furent placées ces assises, mais plutôt sous celui de l’explication, au double sens du mot. Explication de ce qu’est l’école d’art tout d’abord, comme on pourra en juger par le souci de déplier celle-ci dans toutes ses dimensions, pédagogique, scientifique, administrative, sociale et politique. Explication avec ses tutelles et partenaires ensuite, avec la conscience claire que les écoles d’art ne sont pas des institutions hors-sol, mais qu’elles font partie intégrante des politiques territoriales et nationale, aux divers titres de l’enseignement supérieur, de la culture, de l’économie et de l’attractivité des territoires. D’une explication à l’autre, c’est toujours de pédagogie et de co-construction qu’il s’agit, tant nous sommes convaincus que les écoles d’art portent avec elles des valeurs et des qualités qui, bien qu’elles ne soient pas toujours évidentes pour tous, relèvent de la chose publique et doivent à cet égard être soutenues et partagées avec les pouvoirs publics et la société civile.

L’enjeu de cette publication

L’enjeu de cette publication, on l’aura compris, n’est pas seulement de témoignage ou de restitution, il est aussi de contribuer à la prise de conscience de tous du rôle fondamental des écoles d’art. La diversité de points de vue et de registres d’argumentation qu’on y trouvera réunis permet de rappeler un certain nombre de vérités qui, si elles sont de moins en moins présentes à l’esprit, ne cessent pas d’être pour autant. La première est que l’école d’art est à la fois le berceau de la création de demain et un lieu de sensibilisation à l’art et au design d’aujourd’hui. À une époque où le visuel, la création et l’innovation sont des enjeux de première importance, cette évidence a le mérite de fixer le niveau de responsabilité de chacun et de souligner qu’à chaque école qui ferme, c’est l’avenir qu’on hypothèque et les territoires qu’on appauvrit. Au-delà du seul champ de la création, les interventions ici rassemblées viennent aussi redire, à partir de cas concrets, que l’école d’art est un lieu sans pareil d’accueil de la singularité inventive, d’autonomisation des individus, de formation de l’esprit critique, de développement des aptitudes au travail collectif, de création d’activité et de réflexion sur les notions de forme et de représentation, qui intéressent tout le champ social et politique. Elles disent enfin combien les écoles d’art contribuent, depuis leur origine, à fertiliser les différents écosystèmes et secteurs – artistiques, académiques, sociaux, économiques – dans lesquels elles s’inscrivent ou avec lesquels elles dialoguent. Autant d’éléments qui entendent rappeler que les circonstances ou la conjoncture, aussi « délicates » ou « tendues » soient-elles, ne peuvent jamais suffire à faire critères.

Juin 2016

source : demainlecoledart.fr