Modérateurs :
  • David Cascaro, directeur de la Haute école des arts du Rhin et secrétaire de l’ANdÉA
  • Jean-Michel Géridan, directeur de l’École supérieure d’art et de communication de Cambrai et membre du conseil d’administration de l’ANdÉA

La réforme LMD (Licence, Master, Doctorat) a conduit en une quinzaine d’années les écoles supérieures d’art à réformer non seulement leur statut mais également leurs cursus. L’introduction des rythmes semestriels, l’adoption des crédits, la généralisation d’un mémoire en master, l’obligation d’intégrer des docteurs dans les équipes enseignantes ont tout à la fois conduit à légitimer et normaliser l’enseignement supérieur artistique.

D’un côté, les caractères expérimental et pratique de cette pédagogie se sont enrichis d’une nouvelle dimension théorique au nom de la recherche ; de l’autre, le thème de la professionnalisation s’est imposé comme critère fondamental d’évaluation. Dans les deux cas, les écoles ont considéré qu’il fallait ajouter et inventer de nouveaux dispositifs pour satisfaire aux exigences de l’harmonisation européenne. À chaque étape de ce processus, l’harmonisation a été comprise comme une généralisation du modèle universitaire entendu comme un bloc et menaçant l’originalité des enseignements artistiques. Dans une position défensive, les écoles d’art se sont trouvées tiraillées entre leur ministère de tutelle, qui semblait offrir d’importantes concessions au ministère de l’Enseignement supérieur, et leurs partenaires locaux (universités ou écoles) avec lesquels elles nouaient des relations de proximité au bénéfice des étudiants.

Issues de traditions pédagogiques distinctes et attachées à des milieux professionnels spécialisés, les écoles sous la tutelle pédagogique du ministère de la Culture ont hérité de son découpage vertical en secteurs (patrimoine, musique, danse, théâtre, architecture, arts plastiques) et peinent à se constituer en un champ homogène, comme l’expression « enseignement supérieur culture » le laisserait penser. Et, pour être complet, faudrait-il ajouter à cette structuration deux importantes divisions typiquement françaises : tout d’abord la coupure institutionnelle entre les établissements nationaux et les établissements territoriaux, faisant des villes un important financeur de l’enseignement supérieur ; ensuite la place privilégiée occupée par les établissements parisiens bénéficiant de régimes propres en termes de cursus et de gouvernance.

Confronté à d’importantes réformes de rationalisation et obligé de négocier plus régulièrement avec le ministère de l’Enseignement supérieur, le ministère de la Culture a, de son côté, entrepris de gérer de manière transversale les enseignements dont il a la tutelle, réunissant dans une même administration ces enseignements supérieurs culture.

Ayant intégré la réforme LMD à des rythmes échelonnés, les trois secteurs de l’architecture, des arts plastiques et de la scène ont connu des fortunes diverses considérant leur intégration à l’enseignement supérieur. Sous le statut d’établissements publics nationaux, les écoles d’architecture ont été à l’avant-poste de ce mouvement et ont tôt revendiqué le principe d’une cotutelle des deux ministères, seul moyen à leurs yeux de développer une recherche légitime. Cette cotutelle s’est aussi appliquée aux écoles nationales d’art arrivées en ordre dispersé dans le champ de la recherche. Les conservatoires supérieurs de musique de Paris et Lyon ont de leur côté trouvé l’équilibre préservant leur enseignement fondé sur une pratique intensive au moyen d’avantageuses conventions avec des universités. À la faveur de la nouvelle structu­ration de l’enseignement supérieur, toutes les universités et tous les établissements sont désormais invités à coopérer sous les formes d’universités fusionnées ou de communautés.

Les assises de l’ANdÉA souhaitent mesurer les impacts de ces différentes réformes sur ce champ de l’enseignement supérieur artistique dont l’originalité et l’intérêt sont aujourd’hui reconnus et parfois revendiqués par les universités. Comment cette spécificité est-elle vécue ? Comment cette spécificité doit-elle être préservée ou construite entre établissements de l’enseignement supérieur culture d’une part, et avec les autres établissements d’enseignement supérieur d’autre part ? Il s’agira là des principales questions de ce forum.

Les discussions menées avec une école d’architecture (François Brouat) et le Conservatoire supérieur de musique et de danse de Lyon (Géry Moutier) permettent d’élargir les échanges à cette échelle nationale et pluridisciplinaire qui apparaît désormais comme la bonne mesure. De même, le choix de certaines écoles (Toulouse, Strasbourg-Mulhouse, Metz-Épinal) de réunir dans un même établissement public les arts visuels et la musique ou la danse oblige d’emblée à poser les fondamentaux de l’enseignement supérieur artistique dans un projet commun (Anne Dallant). Dans le cas du master pluridisciplinaire de la Haute école des arts de Berne (Andi Schoon), cette intégration a été poussée à son maximum. Sans promouvoir ces cas comme des modèles à suivre, leurs représentants donnent l’occasion de comprendre quels moyens sont nécessaires à la réussite de leur mise en œuvre.

La force des enseignements supérieurs culture tient beaucoup à leur intégration aux milieux professionnels. Dispensés par des architectes et des artistes en activité, les enseignements sont toujours orientés vers une pratique à échelle 1, celle de l’exposition, du concert, de la performance sur ou en dehors de la scène, en bref, celle du projet. L’exemple de la cohabitation entre une école d’art et une scène de spectacles (Cathy Bouvard) sur le site des Subsistances à Lyon comme le témoignage d’un écrivain (Nathalie Quintane) sur la place de la littérature dans l’enseignement artistique décrivent des situations aussi originales que complexes. Le plus souvent, la professionnalisation n’est pas considérée comme un objet à part entière, mais comme une conséquence de cette pédagogie du projet plaçant la création individuelle et collective au cœur des enseignements. La grande porosité entre les mondes professionnels et les écoles peut prendre des formes différentes selon les secteurs, comme les exemples présentés du Jeune Théâtre National (Marc Sussi) et des Ateliers de Clermont (Vincent Blesbois). Avec leur mission d’intégration professionnelle, ces associations démontrent, si cela était nécessaire, la place incontournable des artistes dans la société.

Le développement récent d’offres de formation continue (Grégory Jérôme) par les établissements d’enseignement supérieur artistique présente le double intérêt de faire valoir ce rôle politique et de répondre aux nouveaux territoires pluridisciplinaires dessinés par les artistes eux-mêmes. En effet, les scénographes, vidéastes, architectes, graphistes, musiciens ou compositeurs sont aujourd’hui les premiers à inventer de nouveaux champs d’expression à la faveur des mutations sociales et technologiques.

Ces nouveaux moyens de communication et de création amènent aussi les enseignements supérieurs artistiques à reconsidérer leurs spécificités avec une nouvelle génération d’enseignants : Jean-Noël Lafargue, Loïc Horellou, Sarah Magnan, Stéphanie Vilayphiou. Que ce soit au travers de l’intégration des médias par le support numérique (audio, vidéo, graphisme, scénographie) ou de la transformation du statut d’auteur, les nouvelles technologies présentent au moins cinq défis. La culture des formes alternatives d’enseignement place les enseignements supérieurs artistiques en bonne position pour relever le défi pédagogique, au bénéfice du système éducatif dans son ensemble. Les mutualisations technologiques ouvrent également aux défis professionnel et juridiquepar l’invention de nouveaux formats de production et de nouvelles formes de travail. Enfin, la forte tradition critique des créateurs vis-à-vis des technologies, en les détournant ou en dénonçant leurs travers, portent parallèlement des défis politiques et artistiques.

source : demainlecoledart.fr