Discours de Catherine Texier
Présidente du CIPAC, Fédération des professionnels de l'art contemporain, co-directrice du FRAC-artothèque Limousin

Je suis heureuse de parler après vous, Corinne Diserens, et après ce que vous venez d’exprimer. Je vais dire quelques mots sur cette fédération qu’est le Cipac pour commencer. Vous nous avez déjà rencontrés il y a deux ans en 2013, ici aux Subsistances, lors du congrès interprofessionnel de l’art contemporain, où nous avions évoqué la question de la recherche et donc des écoles supérieures d’art. Je voudrais rappeler qu’au sein du Cipac existent avec l’ANdÉA quatre organisations professionnelles qui sont dans le champ des écoles d’art, puisque l’Association des classes préparatoires publiques aux écoles d’art (APPEA), la Coordination nationale des enseignants en écoles d’art (CNEÉA) et le Réseau des bibliothèques en écoles d’art (BEAR) sont également adhérents au Cipac, et je salue leurs membres dans la salle.

L’intervention très courte que je vais faire portera sur le champ politique et le champ professionnel.

Aujourd’hui, nous avons beaucoup à échanger et beaucoup à dire aux politiques. On nous demande beaucoup aussi dans un contexte, nul besoin de le répéter, extrêmement difficile et dangereux. Je crois que nous avons été plusieurs à utiliser le mot d’ « alerte », d’ « alarme ». Cette alarme ne se réduit pas à notre champ national, elle est évidemment beaucoup plus large. La crise des financements des politiques culturelles, et plus largement la crise des financements des politiques publiques, n’est pas française mais européenne. Les politiques, les décideurs publics plus exactement, nous demandent beaucoup et nous leur demandons beaucoup également. J’entendais Olivier Bianchi poser la question tout à l’heure de la décentralisation culturelle, des politiques culturelles publiques qui n’ont pas suffi à résoudre la question de la fracture sociale et morale qui est en train de s’élargir et de tous nous interpeller. Mais il faut se demander à l’échelle de combien d’années nous regardons cette question : à l’échelle des trente années de décentralisation culturelle ou à l’échelle des dix dernières années où la culture a été largement mise à mal ?

Nous travaillons actuellement sur le projet de loi de finances de 2016, après avoir travaillé sur le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine et sur la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe). S’agissant du projet de loi de finances – ce n’est pas une boutade –, nous regardions les graphiques produits par le ministère de la Culture et nous nous sommes aperçus que, pour ce qui concerne le budget des arts plastiques, il avait été nécessaire de recourir à des astuces visuelles de présentation pour qu’il ne disparaisse pas des camemberts et des histogrammes. Le budget des arts plastiques et visuels aujourd’hui est en effet dans un rapport de 1 à 10 par rapport au spectacle vivant, et, si on le met en perspective de l’audiovisuel, du cinéma et du budget global de la culture, il disparaît quasiment des écrans. C’est une réalité. Et c’est aussi une réalité dans les territoires. Il y a des échéances électorales qui arrivent. Nous en avons connu quelques-unes et nous avons vu lors des dernières, aux municipales, comment le secteur des arts plastiques pouvait être un enjeu symbolique fort, un enjeu symbolique négatif. Il est extrêmement facile d’utiliser nos structures, nos réseaux, nos programmations pour étayer un discours politique poujadiste avec un effet auprès d’un électorat. Nous sommes ainsi en première ligne quand des échéances électorales ont lieu. Nous serons donc présents aux Régionales.

J’abandonne le champ strictement politique pour aller vers la question de la gouvernance des politiques publiques. La question de la bureaucratie a été évoquée, ce n’est pas tout à fait sur ce thème-là que je voudrais aller, mais sur les enjeux qui vont être les nôtres dans les territoires et au niveau national, dans ces fameuses Régions dont on dit qu’elles ont la superficie de la Suisse, de l’Autriche pour la Région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente, avec le bémol qu’elles n’en ont que la superficie, c’est-à-dire qu’elles n’en auront pas les budgets et pas tout à fait non plus les mêmes modes de gouvernance. Et nous craignons que le secteur des arts plastiques et visuels, qui est encore extrêmement fragile, parce qu’il a une histoire plus récente, parce que ses structures sont différentes, parce qu’il manque encore cruellement d’outils, ne soit pas toujours présent dans les instances de concertation et de travail sur les politiques publiques.

Nous avons travaillé étroitement avec l’ANdÉA au sein du Cipac, notamment lors des deux journées interrégionales qui se sont déroulées sur la question de la gouvernance des politiques publiques. L’ANdÉA et les écoles d’art y tiennent une place privilégiée parce que, avant d’être des lieux de formation, ce sont des lieux de pensée, et que ce sont ces lieux qui vont être à défendre, puisqu’ils vont être – et le sont déjà – largement questionnés. Ce sont des lieux de pensée et d’expérimentation qui, depuis de nombreuses années, travaillent en collaboration avec les grands réseaux publics et réseaux de diffusion. Je voudrais rappeler les mots qui ont déjà été utilisés, notamment le mot de « mobilisation ». La mobilisation sur les territoires de l’ensemble des acteurs du secteur des arts plastiques et visuels est aujourd’hui plus que nécessaire et doit trouver encore un développement dans la concrétisation de processus collaboratifs. On pourrait citer de nombreux processus qui se mettent en place, par exemple pour faire en sorte que les étudiants des écoles d’art, qui vont devenir artistes mais qui ne le seront pas tous, puissent trouver une fois diplômés des prolongements très concrets, des moyens de connaissances et de formation hors de l’école.

Pour finir sur la question des gouvernances des politiques publiques, nous demandons vraiment très fortement à ce que, aux côtés des écoles d’art dans les territoires, tous les acteurs soient associés aux différentes instances de concertation qui vont être nécessaires et qui vont mettre en place des politiques que nous espérons ambitieuses.

Pour ce qui concerne le champ professionnel, je disais à l’instant que l’école ne formait pas que des créateurs et des artistes. On voit combien la formation dans les écoles d’art est aujourd’hui une formation qui conduit à des parcours très diversifiés. Il y a bien évidemment en premier lieu les créateurs que nous allons ensuite retrouver dans les réseaux de diffusion : FRAC, centres d’art, artothèques, musées… Mais il y a aussi ces étudiants qui vont être commissaires d’exposition, régisseurs, actifs dans nos structures pour ce qui concerne le champ des publics, des collections. Ces parcours sont encore à améliorer, à valoriser. Les diplômés issus des écoles d’art qui sont ensuite recrutés dans les structures ont une formidable capacité à nourrir ces structures de l’expérience et de l’expérimentation qu’ils ont développées dans les écoles. C’est quelque chose que nous avons à mettre en place collectivement, à diffuser plus largement et encore une fois à valoriser.

La question des « métiers » se situe véritablement dans un champ qui est à creuser, à construire. Le Cipac peut tout à fait contribuer à cela pour que ce secteur dispose d’outils. Je rappelle que nous n’avons pas de branche professionnelle, que nous n’avons aucun métier reconnu dans le répertoire Rome. Il y a d’importants manques sur lesquels il faut travailler. Il me semble que les écoles d’art doivent aussi poser ces questions et participer activement à ce débat.

Je voudrais revenir sur le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine qui a été évoqué. Bien évidemment il y a des avancées et nous les saluons, mais nous constatons quand même que le champ des arts plastiques n’est pas le mieux servi dans le texte et est encore, si ce n’est le parent pauvre, en tout cas insuffisamment précisé. Il ne s’agit peut-être pas d’une volonté politique, je ne porte aucune accusation, mais peut-être le manque d’outils dont je parle se répercute-t-il aussi à cet endroit-là.

Emmanuel Tibloux parlait du CNESER Culture, moi je parlerai du Conseil national de professions des arts plastiques que nous appelons de nos vœux depuis longtemps et que la Ministre a indiqué comme étant aussi un développement possible. Nous avions souhaité que cette question soit inscrite dans le projet de loi, mais cela n’a pas été possible pour l’instant. Nous allons continuer à débattre et à essayer de convaincre puisque l’ensemble du secteur est largement rassemblé autour de cette question. Une autre question autour de laquelle le secteur est largement rassemblé et qui revient au premier plan, et je conclurai là-dessus, est la nécessité – c’est un mot qui a été beaucoup prononcé – de s’organiser en filières professionnelles, non pas pour accroître des éléments qui iraient dans le sens de la bureaucratie mais plutôt à l’inverse, pour que tous les acteurs qui constituent le secteur des arts plastiques puissent trouver le moyen de travailler efficacement ensemble. Cette question de la filière professionnelle au niveau national, avec des prolongements dans l’ensemble des territoires, est importante puisqu’elle concernerait pour la première fois l’ensemble des acteurs du champ des arts plastiques. Nous irions au-delà des réseaux professionnels qui existent déjà et nous y associerions en premier lieu les artistes et l’ensemble des acteurs concernés, y compris bien évidemment les acteurs économiques.

Ces questions sont aujourd’hui fondatrices de l’action du Cipac et j’espère qu’elles trouveront un prolongement très rapidement, de façon à ce que nous puissions exister plus fortement dans les textes de loi ainsi que dans la rédaction des politiques publiques culturelles qui vont faire le devenir de ce pays.

source : demainlecoledart.fr