Fleur Pellerin 
Ministre de la Culture et de la Communication 
Allocution prononcée à l’occasion des assises nationales des écoles supérieures d’art, à Lyon le 30 octobre 2015

Mesdames et Messieurs les élus, Monsieur le Président de l’ANdÉA, cher Emmanuel Tibloux, Mesdames et Messieurs les Présidents d’établissements publics, Mesdames et Messieurs les Directeurs d’écoles d’art, Mesdames et Messieurs, Chers amis,

Merci de m’avoir invitée à conclure vos assises. Je me réjouis d’être parmi vous ce soir. Les rencontres de l’ANdÉA comptent en effet parmi ces lieux de réflexion importants, pour qui se soucie de la place qu’accorde et reconnaît notre pays aux artistes. Ces assises sont à l’image de nos écoles d’art, à l’image de leur inventivité, à l’image de leur capacité à « aller au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ». Elles sont à l’image de leur capacité – et l’histoire nous a montré qu’elle était grande – à se diversifier au rythme des révolutions esthétiques.

Dans vos établissements se joue une part du mystère de l’art, par la transmission et le partage, des goûts comme des compétences. J’ai pu en prendre à nouveau la mesure en visitant les ateliers des Beaux-Arts de Lyon tout à l’heure. Avec les galeries, avec les lieux d’art contemporain, les écoles sont le creuset de la vie créative de France. Les rencontres de l’ANdÉA ont toujours été, par conséquent, une source d’inspiration pour mon ministère. Nous y venons pour agir, autant que pour écouter. C’est aussi mon état d’esprit.

Deux jours durant, vous avez donc discuté, échangé, débattu de ce que seront, demain, les écoles supérieures d’art de la République. L’avenir est votre préoccupation. C’est aussi la mienne. Comment enseigner l’art et le design dans les années à venir ? Comment prendre en compte l’hybridation des esthétiques ? Comment doit se structurer l’enseignement supérieur artistique ? Et plus encore – car c’est peut-être la question des questions – quel est le rôle social et politique d’une école d’art, dans ce siècle naissant – un siècle pris dans le tourbillon des mutations de tout ordre, et parfois pétrifié par ces changements qui s’opèrent ?

Je n’ai pas la prétention, ce soir, de répondre à l’ensemble de ces questions. Pour certaines d’entre elles, cela reviendrait à définir ce que doivent être l’art et la culture dans le monde qui vient. Ce n’est pas mon rôle. C’est aux artistes de l’inventer. Nul ne sait à quoi ressembleront les œuvres de demain. Nul ne sait, sinon vous, quelles pratiques nouvelles commencent à peine à s’expérimenter, dans le silence de l’atelier, ou quel cheminement créatif suivra l’artiste en devenir que vous formez. Et c’est mieux ainsi. Le rôle de la puissance publique n’est pas de décréter ce que sera l’avenir de l’art : il est de le rendre possible. C’est l’ambition que je revendique et que j’assume.

C’est donc auprès des artistes, et d’abord auprès d’eux, que j’ai souhaité engager le ministère de la Culture et de la Communication. Puisque vous formez les artistes de demain, je porte à vos écoles une attention toute particulière. La meilleure preuve de cette attention, c’est que les crédits consacrés à l’enseignement supérieur culture continueront, comme je l’ai souhaité, de progresser en 2016. Ils augmenteront de 1,8 % l’an prochain, après une première hausse de 7,4 % en 2014. C’est un million d’euros de plus pour les écoles d’art. Alors même que le contexte budgétaire est contraint, le Gouvernement a fait le choix de la culture. Les collectivités territoriales qui font aussi ce choix et maintiennent leurs crédits peuvent compter sur le soutien de mon ministère : c’est la vocation des pactes culturels que je leur ai proposés. Une soixantaine sera signée d’ici fin novembre. Ces efforts de l’État, je les ai mis au service de trois convictions.

Ma première conviction, c’est qu’il n’y a pas d’avenir pour l’art sans liberté préservée. Ceux qui veulent en priver les artistes donnent aujourd’hui de la voix. Vous avez tous à l’esprit ce qu’a subi l’œuvre d’Anish Kapoor ces derniers mois. Je pense aussi à tous ces plasticiens qui sont peut-être moins médiatiques, mais qui ne sont pas moins sensibles aux pressions de toute part. Il était donc impératif d’acter la séparation du politique et de l’artistique, en consacrant la liberté de création dans la loi. Il était nécessaire de nous armer pour lutter contre tous les tenants de l’ordre moral, qui voudraient pouvoir dire ce qui est de l’art et ce qui ne l’est pas. Car une liberté est toujours plus réelle lorsqu’elle est inscrite dans les textes. Protéger la liberté des artistes, c’est leur garantir un avenir, et c’est aussi garantir un avenir à tous les lieux d’expérimentation et de diffusion, dont font partie les écoles d’art. Vous savez mieux que quiconque que l’article premier du projet de loi, que j’ai défendu le mois dernier au Parlement, et que les députés ont approuvé en première lecture à une très large majorité, est bien plus que symbolique. Il est une assurance pour l’art de demain.

Ma seconde conviction est qu’il n’y a pas d’avenir pour l’art sans plus de justice. Et en la matière, il faut le dire clairement, les écoles d’art, leurs étudiants et leurs enseignants, ont subi des injustices que je m’attache à corriger. Vous m’avez d’ailleurs interpellée sur certaine d’entre elles, et je veux y répondre ce soir. Faire progresser la justice, c’est faire en sorte que les écoles d’art aient la place qui leur revient dans notre système français d’enseignement supérieur. Il est essentiel qu’elles soient reconnues comme des membres à part entière de ce système, tout comme il est essentiel de préserver leur singularité. Et vous avez raison de rappeler que cette singularité réside dans « l’enseignement de la création par la création ». Vous aviez déjà engagé la réforme LMD. Vous aviez déjà commencé à travailler à la structuration de la recherche. C’était nécessaire : ces réformes sont bénéfiques aux étudiants, dont les diplômes sont mieux reconnus à l’international, comme aux enseignants, dont le travail de recherche est valorisé comme il se doit. La loi que je porte vous donne les moyens de mener cette réforme jusqu’au bout, en clarifiant les missions qui vous sont imparties, en précisant les modalités d’organisation de l’enseignement, et en instituant un système d’accréditation. Elle harmonise l’organisation, mais vous garantit aussi la plus grande autonomie possible pour imaginer votre offre de formation. Elle vous donne aussi la possibilité de recourir à des enseignants associés ou invités et celle de leur reconnaître des missions de recherche. C’est un progrès pour nos écoles.

Par ailleurs, je vous sais très attachés à la mise en place d’un Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) au sein du ministère de la Culture, afin de mieux prendre en compte la singularité de notre enseignement supérieur. J’avais repris à mon compte cette idée en vous rencontrant il y a un an. Je suis convaincue que nous avons besoin de ce lieu de débat pour définir et discuter des orientations stratégiques de notre enseignement. Sa création fera donc l’objet d’un décret. Je souhaite que sa publication soit faite au plus tard avec celle de la loi. D’ici là, je ne doute pas que les discussions déjà engagées par mes services avec l’ensemble des parties prenantes auront abouti. J’ai confiance en votre capacité collective à trouver un consensus, pour que chaque domaine de formation et de recherche soit représenté, et pour qu’il en soit de même pour chaque communauté, enseignante, scientifique, étudiante, administrative et professionnelle. Je sais que ce « Parlement des écoles » sera dès sa conception un lieu d’échanges ouverts et constructifs.

Je me réjouis enfin de l’accord de partenariat que l’ANdÉA a conclu avec le comité professionnel des galeries d’art – dont je salue la vice-présidente, Marion Papillon – qui se sont engagées à verser systématiquement leur contribution à la taxe d’apprentissage aux écoles supérieures d’art publiques. C’est un geste fort.

Faire progresser la justice, c’est faire en sorte que les bacheliers qui intègrent nos écoles aient un profil plus diversifié. Il n’est pas acceptable que les élèves et les familles puissent penser parfois qu’il n’existe qu’une offre privée, le plus souvent chère, et, pourtant, pas toujours de très bonne qualité. Cela renforce l’idée que les métiers de la création artistique, « c’est toujours pour les mêmes ». Il faut donc améliorer la visibilité de l’offre d’enseignement des écoles d’art publiques. Pour autant, je n’ignore pas les difficultés, sinon les imperfections que présente la plateforme APB. Je sais que vos épreuves de concours présentent des spécificités. Je sais que le chemin est ainsi semé d’embûches et que beaucoup d’adaptations sont nécessaires pour que votre présence dans ce système soit efficiente. Mais oublions provisoirement les embûches pour garder l’objectif, qui est, fondamentalement, un objectif de justice sociale. Vous avez très précisément décrit tous les problèmes du système APB actuel et les adaptations qu’il faudrait lui apporter. C’est un travail important. La balle est désormais dans le camp des ministères pour vous donner l’assurance que ces modifications seront effectuées. Je sais que nous partageons l’objectif. Nous trouverons donc ensemble le moyen de l’atteindre, le plus rapidement possible.

Faire progresser la justice, c’est faire en sorte que les étudiants qui suivent dans les écoles territoriales une formation préparatoire aux concours aient droit eux aussi à la sécurité sociale. Jusqu’à aujourd’hui, vous le savez, ces formations n’étaient pas reconnues. Les étudiants n’avaient donc pas les mêmes droits que les élèves de certaines écoles privées. Avec la loi que je porte, ces classes préparatoires seront désormais reconnues par un agrément national. Sur ce point, car c’est un enjeu social fondamental, je ne veux pas perdre de temps : un groupe de travail a déjà été constitué avec l’association des classes préparatoires publiques, pour que le décret soit prêt le plus rapidement possible après la promulgation de la loi.

Faire progresser la justice, c’est faire reculer les discriminations et les inégalités entre les femmes et les hommes. Le monde de la culture doit être exemplaire en la matière. C’est sa responsabilité, et cela commence par la formation. Je vous y sais très sensibles ; la présence aujourd’hui d’Éléonore de Lacharrière de la Fondation Culture & Diversité en témoigne. Les écoles d’art sont par définition des lieux où se construit et s’affirme l’identité de chacun, où la question de l’intime, du corps, de l’identité se travaille plus qu’ailleurs. Le contexte est donc favorable, vous l’écrivez vous-mêmes, pour combattre les discriminations.

Je me réjouis donc de la charte que les membres de l’ANdÉA ont élaborée, car elle est très concrète et très ambitieuse. Je pense en particulier à la désignation de référents et aux propositions de réforme des règlements intérieurs des établissements. Mon ministère s’en fera d’ailleurs l’écho auprès du réseau de l’enseignement supérieur culture. Nous prendrons aussi nos responsabilités. Le prochain arrêté d’organisation des études en arts plastiques prévoira une disposition qui mettra en valeur le travail des artistes femmes tout au long du cursus. J’ajoute que les contrats d’objectifs et de moyens des écoles nationales supérieures d’art incluront des objectifs pour une plus grande égalité entre les femmes et les hommes, des objectifs qui comprendront aussi la lutte contre le harcèlement.

Faire progresser la justice, c’est réduire les disparités entre les corps enseignants des écoles nationales et des écoles territoriales. Ce sujet vous importe, à juste titre, puisque vous exercez des missions identiques. Mais mettre en place un statut unique d’enseignant pour l’ensemble des écoles d’art quel que soit leur statut n’est pas aujourd’hui possible car contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales. En revanche, nous avons déjà réfléchi avec les ministères concernés à la création d’un cadre d’emploi des professeurs territoriaux d’arts plastiques, équivalent au statut des professeurs des écoles nationales. Un rapport a été remis aux parlementaires en avril. C’est un sujet complexe, vous le savez, car il ne relève pas de mon seul ministère. Ce projet n’a pas été inscrit dans la loi, car il relève du décret, mais ma détermination est totale, et je m’y impliquerai personnellement, je m’y engage.

Mes chers amis, vous l’aurez compris, je suis non seulement convaincue que justice sociale et liberté de création sont parfaitement compatibles, mais je crois aussi qu’elles sont deux conditions essentielles pour préserver la vitalité du tissu artistique de notre pays et lui donner une plus grande diversité.

Ma troisième conviction est qu’il n’y a pas d’avenir pour l’art sans accompagnement des artistes. Et je pense en particulier à ceux qui débutent et entrent dans la vie active. Trouver sa place, trouver un atelier pour travailler, avoir accès aux bons interlocuteurs pour se faire connaître… C’est une responsabilité collective – la mienne, la vôtre. Je l’ai placée au cœur des Assises de la Jeune Création, auxquelles l’ANdÉA avait d’ailleurs apporté sa contribution, et je l’en remercie. Je vous sais d’autant plus attachés à cette question que vous formez les étudiants en atelier, et que le corps enseignant de vos écoles est constitué en majeure partie de professionnels – designers et plasticiens, graphistes ou photographes – qui explorent en parallèle de nouvelles voies. Nathalie Talec en parlerait mieux que moi. Ce n’est donc pas un hasard si 82 % de vos élèves sont insérés dans la vie professionnelle à l’issue de leur formation. C’est la preuve que la formation à la création par la création n’est pas incompatible avec la professionnalisation.

C’est un mouvement que je veux accompagner. Il passe bien entendu, au sein des écoles, par une meilleure information, sur les droits d’auteur ou la commande publique, sur les dispositifs qui existent pour soutenir la création artistique ou sur la création d’entreprise, à laquelle vous avez travaillé dans vos établissements. Il passe aussi par de nouveaux lieux et de nouveaux dispositifs pour mettre aux jeunes créateurs le pied à l’étrier. Des lieux qui soient adaptés à leurs besoins et aux nouvelles techniques de production qui émergent aujourd’hui, à l’heure du numérique et de l’imprimante 3D que vous avez d’ailleurs parfaitement su intégrer dans vos enseignements. Des lieux qui pourraient revendiquer le titre d’atelier du XXIsiècle. J’ai donc lancé un appel à projets dès la fin des Assises pour développer des incubateurs, des pépinières et des Fablabs au sein des écoles. Les 27 lauréats ont été sélectionnés il y a trois semaines. D’autres mesures seront mises en œuvre d’ici la fin de l’année : nous soutiendrons la création de lieux intermédiaires, qui seront à la fois des espaces de travail, de vie et de service partagés, et faciliteront l’échange entre les artistes et la création collective. Nous développerons le compagnonnage pour encourager la transmission des compétences après la formation. Nous soutiendrons l’accès aux résidences d’artistes. Pour le ministère, c’est un engagement sans précédent. Le projet Médicis Clichy-Montfermeil que je porte aujourd’hui est emblématique de cette politique. Il présentera dès l’an prochain une programmation hors les murs, le temps qu’un nouvel espace soit construit. Il sera, je le souhaite, le symbole de ces nouvelles pratiques artistiques, qui reposent à la fois sur l’expérimentation et sur la transmission, et jouent sur l’hybridation des esthétiques.

L’avenir de l’art, mes chers amis, est l’une de mes préoccupations premières. Il passe par vous. Il se joue dans vos écoles. Nous avons la responsabilité, ensemble, de le rendre possible, en garantissant aux artistes la sécurité, la liberté et la justice dont ils ont besoin. J’ai toute confiance dans notre capacité à le faire. Et si je me suis, avec vous, engagée dans cette voie, c’est parce que je crois plus que jamais dans le pouvoir de l’art. Je crois en ce pouvoir qu’il a de nous interpeller et de nous déranger, pour mieux nous faire voir le monde et nous faire partager la vie intérieure de l’autre. Je crois dans ce pouvoir qu’il a « de nous faire découvrir sous un autre angle ce qui nous est familier, pour en tirer le plus de significations possibles », comme le dit si bien Ralph Rugoff en parlant des œuvres qu’il a choisies d’exposer pour la Biennale de Lyon, que j’ai eu la joie de visiter il y a un mois. Je crois en son pouvoir d’ouverture, en sa capacité à nourrir un imaginaire, singulier et collectif, en sa capacité à nous émerveiller. Ce qu’on attend d’une école d’art ? Qu’elle continue encore et encore à rendre cet émerveillement possible, en suscitant des vocations, en faisant naître des artistes, qui sauront se jeter à corps perdu dans l’inattendu.

Je vous remercie.

Emmanuel Tibloux
Merci, Madame la Ministre, pour ces quelques mots que nous accueillons extrêmement favorablement et merci à toutes et tous pour votre participation à ces assises. Merci.

source : demainlecoledart.fr