1 Enseignement supérieur culture : mythe et réalité
2 L’école pluridisciplinaire
3 L’atelier décliné : les formats de la transmission
4 Après l’école, tous en formation !
5 Après l’école, tous en formation continue !
6 Arts plastiques versus arts du plateau ?
7 Accompagner les diplômés
8 Les pratiques pédagogiques du numérique au risque du monopole technologique
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3 L’atelier décliné : les formats de la transmission
Jean-Michel Géridan
L’une des particularités de cette séquence est que nous allons l’introduire par l’extrait d’une vidéo de Jean-Noël Lafargue, professeur en art et nouveaux médias à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis et à l’École supérieure d’art et design Le Havre-Rouen. Il s’agit d’un extrait d’une conférence TED qu’il a prononcée l’an dernier. Concernant les formats de la transmission, ce principe de la vidéo et des conférences me semblait intéressant pour ce que cela génère en termes de diffusion et de préparation. De ce format de la transmission, Jean-Noël Lafargue débattra avec vous à l’issue de ce cours extrait d’une dizaine de minutes. […]
Jean-Noël Lafargue
Je ne sais pas si vous êtes familiarisés avec le format TED qui est un format assez amusant, très cadré, importé des États-Unis. Je sais qu’à Paris par exemple, ils doivent faire valider leurs traits d’humour. Il y a obligation de faire rire à l’instar de l’obligation aussi d’efficacité didactique.
Jean-Michel Géridan
Justement, dans ce principe de transmission employant l’humour via la vidéo, au-delà du fait qu’il soit épuisant d’être soi-même, il est relativement épuisant de préparer un format tel que celui-ci.
Jean-Noël Lafargue
En effet, au-delà de la dimension scientifique, le format s’apparente ici à un Stand-Up, mais il y a une règle chez TED, c’est qu’on doit en faire un tous les deux ans au maximum et ne pas se répéter. Est donnée pour seule consigne « officielle » de faire la meilleure conférence de notre vie.
Jean-Michel Géridan
Si le format TED est aisément identifiable, employant pour la diffusion les plateformes Youtube ou Vimeo, qu’en est-il des MOOC 5 ?
Jean-Noël Lafargue
En effet, on parle beaucoup des MOOC en ce moment. Il y a des choses intéressantes dans le MOOC, l’ambition de diffuser massivement et gratuitement des savoirs, mais en revanche on paie la validation. La plupart des cours sont gratuits mais il faut payer si on veut passer les examens. Quand on parle des MOOC à nos ministres, j’ai l’impression de voir leurs yeux briller pour une question d’économie de masse salariale. Cela permet en effet d’avoir moins de professeurs devant un plus grand nombre d’étudiants, et des cours qui peuvent être répétés d’année en année par ce même vecteur. Pour le moment, cela ne prend pas énormément. J’ai une petite expérience dans un institut d’enseignement à distance à Paris 8 où on devait écrire un cours pour lequel on était payé en droits d’auteur. On était censé faire des cours qui étaient diffusés à des étudiants pendant trois ans. Cela représentait une très nette économie par rapport au recrutement d’un chargé de cours.
Jean-Michel Géridan
Concernant la transversalité, tu es à la fois un acteur et un témoin de la réforme des écoles d’art, du passage au LMD, et tu as aussi une expérience antérieure, puisque tu es rentré en tant qu’enseignant à l’université en 1999, ou plus tôt. Quelles différences et quels liens vois-tu entre l’école d’art et l’université s’agissant de l’enseignement des nouveaux médias qui est ton champ d’action ?
Jean-Noël Lafargue
Ce que j’ai vu changer énormément à l’université, et qui arrive semble-t-il aussi en école d’art, c’est le poids de l’administration. C’est assez angoissant. Concernant les nouveaux médias, c’est une histoire très singulière. En école d’art, ils n’étaient pas très développés pendant un certain temps à part en vidéo pour des raisons historiques, mais à l’université, ils étaient très développés ; c’est donc la rencontre avec l’université qui m’a permis de rencontrer les nouveaux médias.
Un étudiant dans l’auditoire
Dans la vidéo d’introduction, vous dites qu’il vaut mieux apprendre à apprendre plutôt que se former à quelque chose de spécifique. J’aime beaucoup cette réflexion. Cela signifie qu’un métier, ce n’est pas tant des compétences qu’une attitude. Je me demande si, même en école d’art, les départements ne sont pas encore trop cloisonnés. Dans notre école par exemple, l’École supérieure d’art et design de Grenoble-Valence, nous n’avons pas de contacts entre art et design. Je pense qu’on gagnerait beaucoup à avoir des ateliers communs. Je voulais connaître votre avis sur ce point.
Jean-Noël Lafargue
Nous avions avec Jean-Michel Géridan le projet d’aller visiter des écoles, pour voir comment elles fonctionnent. Il y a pour certaines d’entre elles une porosité significative entre les départements et d’autres où les usagers ne se connaissent absolument pas.
Jean-Michel Géridan
La transmission et le dialogue entre créateurs ont à mon sens aussi à voir avec l’architecture de l’établissement qui concourt aux porosités. Il est vrai, qu’au-delà du désir de rencontre des personnes dans ces structures, il est impressionnant de constater que nos architectures cloisonnent nos départements par d’infranchissables murs. C’est quelque chose que je vis aussi aujourd’hui dans mon établissement à Cambrai où paradoxalement la conception architecturale aide énormément à cette porosité. Situation paradoxale, car c’est une série d’erreurs de ce bâtiment livré qui nous a permis d’en transformer ses usages.
Jean-Noël Lafargue
Sur cette question de la porosité, nous avons un professeur de gravure et de sérigraphie qui est vraiment central à l’EsadHAR puisque les étudiants de design graphique passent leur temps dans son atelier, alors qu’il est à la base professeur d’art. Sans son initiative, il n’y aurait pas cette fameuse porosité, et de même pour la technicienne bois et reliure avec qui les étudiants en design graphique passent beaucoup de temps.
Jean-Michel Géridan
Les réponses sont multiples, mais il s’agit de réussir via le bureau des étudiants peut-être à trouver des zones d’accueil où les gens peuvent se retrouver dans des actes de création et dépasser ces barrières ; les workshops – ateliers intensifs – peuvent répondre pour partie à cela.
Hélène Parveau [diplômée de l’École nationale supérieure d’art de Limoges, doctorante]
Je me disais que les modes de transmission sont très spécifiques en école d’art. Est-ce que l’évaluation du HCERES 6 ne va pas mettre à mal ce mode de transmission ? Puisqu’on est dans une évaluation qui est difficilement objective, qui attribue une note, est-ce qu’on ne va rentrer dans une certaine forme de compétitivité qui n’a rien à voir avec la racine de l’école d’art ?
Manon Rivière [directrice des études, de la recherche et de l’international à l’École supérieure d’art et design Le Havre-Rouen]
J’ai participé récemment à une réunion à Paris au HCERES pour qu’ils nous expliquent ce qu’ils attendaient de nous. J’ai trouvé cela assez positif. J’avais comme vous certains a priori, mais en fait la démarche est moins de juger ce que l’on fait que de juger de la justification de nos choix. Il s’agit plutôt d’inciter les écoles à se pencher sur ce qu’elles font afin qu’elles puissent détailler leurs choix pédagogiques et les expliciter.
Jean-Noël Lafargue
L’évaluation est en gestation depuis un certain temps, mais j’ai le sentiment que les règles changent régulièrement.
Gilles Forster [adjoint scientifique à la Haute école d’art et de design de Genève]
Vous nous avez présenté les conférences TED, vous nous avez parlé des MOOC. Pourtant, en école d’art, l’atelier avec le professeur reste le modèle dominant. En quoi la façon d’enseigner des TED ou des MOOC pourrait apporter des nouveautés à la transmission dans les écoles d’art ?
Jean-Noël Lafargue
J’ai lancé en 2005 un atelier en arts plastiques à l’université qui s’appelait Atelier Wikipedia. Les étudiants devaient travailler sur de la production de texte, mais uniquement sur Wikipédia. Ils devaient créer des articles sur tout ce qui manquait sur l’art, parce qu’à l’époque les gens ne connaissaient pas Wikipedia. C’était assez amusant d’utiliser un espace en ligne comme atelier. Je vois des étudiants, souvent à leur initiative, qui utilisent Facebook comme atelier, c’est pour eux un lieu pour travailler à plusieurs. Comme vous, je suis passé d’une époque où les étudiants n’avaient pas d’ordinateur à une époque où l’on passe un temps considérable à travailler par e-mails. Internet est devenu un lieu où il se passe des choses mais l’atelier, la rencontre avec les étudiants est quelque chose dont il est bien sûr impossible de s’éloigner.
Céline Chazalviel [chargée des éditions et de la librairie à l’École nationale supérieure d’art de Nice – Villa Arson]
D’un point de vue méthodologique, qu’est-ce que l’introduction des nouveaux médias dans une pratique d’atelier peut impliquer en termes de méthode, de type d’enseignement ? Quelles répercussions et quel renouvellement cela peut produire dans les ateliers plus traditionnels ?
Jean-Noël Lafargue
Je ne suis pas à l’aise pour répondre à cette question puisque j’enseigne les nouveaux médias eux-mêmes. Pour ce qui concerne mon établissement au Havre, notre enseignant en sérigraphie dont j’ai parlé a vraiment voulu dès son arrivée faire quelque chose avec la programmation, afin qu’on utilise le numérique avec la sérigraphie. On a ainsi monté un très bon atelier transversal. Dans mon cours, mon but premier est toujours un peu d’enlever la magie de l’ordinateur, pour que les étudiants comprennent que l’ordinateur n’est qu’une boîte qui fait ce qu’on lui dit de faire. Beaucoup de gens en ont peur et beaucoup d’étudiants en arrivant sont embêtés quand on leur dit qu’ils vont suivre des cours de programmation, parce qu’ils ne sont pas là pour cela. J’essaie de leur apprendre à ne pas avoir peur des machines et à voir ce que l’on peut en tirer. Souvent, deux ans après avoir quitté l’école, ils me recontactent, ils se rappellent au moins que c’est possible et que ce n’est pas hors de leur portée et c’est là qu’ils se donnent les moyens, au moment où ils en ont besoin, de faire quelque chose.
Entretiens de Jean-Noël Lafargue avec d'anciens étudiants en école d'art © Jean-Noël Lafargue
Jean-Michel Géridan
Pourquoi est-ce qu’on s’est mis à enseigner le code dans nos écoles d’art ? Probablement à cause de l’incapacité de logiciels propriétaires de développer des formes autres que celles qu’ils signent dans leur limite visible. Il faut garder en tête que l’achat d’un logiciel, c’est l’achat de son interface graphique.
Jean-Noël Lafargue
Chaque logiciel vient évidemment avec ses limitations : celles que les ingénieurs et commerciaux de chez Adobe ont posées comme étant ce dont on a besoin, et ils peuvent tout à fait se tromper.
Annie Chevrefils-Desbiolles [inspectrice de la création artistique, Direction générale de la création artistique – ministère de la Culture et de la Communication]
Dire aux étudiants qu’ils peuvent trouver ce qu’ils cherchent sur Internet ou constater que Facebook est un atelier qu’ils constituent par eux-mêmes c’est bien, mais est-ce qu’il n’y a pas une initiative, une réflexion à avoir pour éditorialiser ces contenus sur Internet et peut-être en produire des spécifiques ? Comment, en termes de transmission, tout ce qui se joue là, qui est fondamental et qui modifie vraiment la manière d’apprendre et de créer pour nos étudiants, pourrait être à l’initiative des écoles ?
Jean-Noël Lafargue
Il y a toujours une évolution très rapide de toutes ces plates-formes, Facebook change constamment, peut-être que Facebook n’existera plus demain et sera remplacé par une autre plate-forme. À chaque fois qu’on essaie d’encadrer, on court le risque de faire quelque chose qui s’écarte et des pratiques et de la manière logique de faire les choses.
Annie Chevrefils-Desbiolles
Il ne s’agirait pas d’encadrer justement, mais cela semble contradictoire qu’à l’endroit même où aujourd’hui ces questions se posent avec tous les pouvoirs négatifs qu’on connaît, on ne s’empare pas de ces questions-là, on ne les renouvelle pas de l’intérieur à travers un geste de création et de transmission. C’est presque une responsabilité des écoles, donc de quelle manière y penser ensemble ? Parce qu’il y a un enjeu pour le coup politique et social. Cela reprend la question des Fablabs dont nous n’avons pas parlé et donc aussi de la licence commune, de comment on partage, comment on documente nos travaux… Tout cela participe finalement, chez l’étudiant et le jeune artiste, de leur acte de créateur et de leur position de citoyen.
Jean-Noël Lafargue
Nous essayons de les sensibiliser à toutes ces questions, c’est très important, notamment par l’utilisation de logiciels libres.
[5] L’acronyme MOOC signifie Massive Open Online Course que l’on peut traduire par « cours en ligne ouvert et massif ».
[6] Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) est une autorité administrative indépendante chargée de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche publique, créée par la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche de 2013. Il succède à l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) créée en 2006. Le HCERES est chargé d’évaluer les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, les formations et les équipes de recherche. S’agissant des écoles d’art, seules les formations conférant les grades de licence ou de master sont concernées à l’heure actuelle.