1 Enseignement supérieur culture : mythe et réalité
2 L’école pluridisciplinaire
3 L’atelier décliné : les formats de la transmission
4 Après l’école, tous en formation !
5 Après l’école, tous en formation continue !
6 Arts plastiques versus arts du plateau ?
7 Accompagner les diplômés
8 Les pratiques pédagogiques du numérique au risque du monopole technologique
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6 Arts plastiques versus arts du plateau ?
David Cascaro
Faisant suite à nos deux premières séquences, nous poursuivons notre questionnement de la pluridisciplinarité. Nous allons envisager celle-ci sous un autre angle, du point de vue du spectacle vivant et de la littérature, avec deux invitées, Cathy Bouvard, directrice déléguée des Subsistances, et Nathalie Quintane, écrivain.
Cathy Bouvard
Les Subsistances sont nées il y a une quinzaine d’années de la volonté de la Ville de Lyon de créer une friche artistique qui s’est progressivement institutionnalisée. Ce grand lieu était, au départ, entièrement consacré à un laboratoire de création artistique. Nous sommes arrivés il y a dix ans avec Guy Walter, avec l’idée de faire de ce lieu un lieu de résidence d’artistes, avec vingt et une chambres ainsi que sept lieux de travail et de monstration pour les artistes. Notre choix était de permettre aux artistes de la scène de trouver à Lyon un lieu de travail, des moyens de production, et de permettre des croisements. C’est aussi un lieu de commandes aux artistes, autour de la danse et de la musique contemporaine. L’idée principale était de croiser les disciplines et de proposer aux artistes des aventures singulières. L’idée était également de permettre à des publics nombreux de venir découvrir ces pratiques aux Subsistances, avec un important volet dédié au travail avec des publics divers, sous la forme de résidences de publics avec les artistes.
Au bout de trois ans, la partie du bâtiment qui n’était pas encore rénovée a été affectée à l’école des beaux-arts qui a quitté les pentes du 1er arrondissement. L’Ensba s’est installée autour de la verrière qui devait rester un lieu de spectacle à part entière. Nous sommes donc devenus colocataires et des questions se sont alors posées : comment donner du sens et faire en sorte qu’on ait des intérêts partagés ?
C’était une évidence pour les politiques que cela allait se produire naturellement. Évidemment, cela n’a pas du tout été le cas. C’est vraiment une politique très volontariste que nous menons pour que ces croisements se fassent. Nous avons élaboré un certain nombre de projets. La chorégraphe Jennifer Lacey propose des ateliers de danse et invite des artistes en résidence de façon à ce que ces croisements opèrent. Et chaque année, un projet croise les élèves du CNSMD en danse, le diplôme de scénographie de l’école d’art et les techniciens des Subsistances pour travailler sur le plateau.
Enfin, il y a les individus, des étudiants qui viennent nous voir et que nous décidons d’épauler sur des projets avec des artistes et à qui nous proposons de rencontrer des artistes. Mais nous avons l’impression que ces étudiants ont peu de connaissances des arts de la scène et que cela leur fait un peu peur ; ce sont des arts qui sont finalement très à distance et semblent peu les concerner. Depuis plusieurs années, avant chaque grand événement, un artiste vient présenter son projet aux étudiants de première année de l’école d’art. Nous arrivons ainsi petit à petit à initier des personnalités qui se saisissent de ces projets et parviennent à se sentir concernés. Nous prenons également beaucoup d’étudiants en stage technique. Mais de fait, ce n’est pas un lien naturel, peut-être parce que la vision de la scène que les étudiants de l’école d’art ont souvent est une vision du « théâtre à papa » ou de la « danse à papa ».
Nous avons un nouveau projet créé par les Subsistances et l’école d’art : le Plateau NRV (Numérique et Réalité Virtuelle). C’est un plateau de travail autour des arts numériques et des réalités augmentées qui va être vraiment collaboratif entre les étudiants, les enseignants de l’Ensba Lyon et les artistes en résidence. Ce sera un plateau très spécifique, ce sera un outil très précieux puisqu’il va jumeler une scène avec un plateau de travail doté d’ordinateurs, de façon à pouvoir faire dialoguer le travail sur le corps et le travail numérique.
Nathalie Quintane
Je vais vous proposer une lecture en deux temps. Le premier revient sur mon expérience. Je suis enseignante dans le secondaire, en collège, depuis presque trente ans. Et depuis une vingtaine d’années, j’interviens régulièrement en école d’art, soit pour des interventions très ponctuelles d’une ou deux journées pour un mini atelier d’écriture ou une présentation de mon travail, soit pour un workshop un peu plus long. Ce texte revient sur mes allers-retours entre l’enseignement secondaire, qui est en France un univers extrêmement contraignant, et l’enseignement supérieur dans les écoles d’art qui incarne une grande liberté. Dans le second temps, je tenterai de vous offrir une solution quasi universelle à vos problèmes financiers, parce que j’ai senti qu’il y avait des soucis en ce moment.
1. Écoles
« J’arrivais à 11 heures, mais j’aurais pu aussi bien arriver à 9, à 12 ou ne pas arriver du tout, remettre au lendemain. Ceci pour que tu aies en mémoire que partout ailleurs on t’attend à 8 ; tu te lèves à 6 heures ou tu te lèves à 5 si tu habites ce village à une heure en car de la ville où tu es scolarisé, soit collège, soit lycée, tu stationnes devant la porte de l’établissement où tu es scolarisé, il sonne, tous ses murs sonnent et les rues alentour retentissent, les haies taillées vibrent, on entre, quelques haut-parleurs dans la cour annonce des noms, il sonne encore, tu t’assois, tu te lèves à 17 heures, il sonne, tu sors par la même porte par laquelle tu es entré le matin ; c’est ta journée. Ceci en mémoire de ce que fut ta journée, seulement de ce qu’elle fut et non de ce qu’elle pourrait être.
Je reprends ma place dans une salle vaste, haute de plafond, où l’on peut ranger côte à côte 10 penseurs de Rodin. Ceci pour que tu aies en mémoire les pièces bondées, à 30 ou à 35 tous dans le même sens, vers le même mur, et pour que tu saches les studios ex-chambres où tu te tiendras au mur de gauche d’une main cependant que tu pourras toucher du bout des doigts de l’autre main le mur de droite, et puis te pencher comme on vomit sur l’évier pour laver ta vaisselle sans te cogner la tête et puis, assis, répondre à l’oreillette, qui te parle au creux de l’oreille, qui parle aux creux de 400 oreilles toutes disposées dans le même sens, vers le même écran, à des soucis de consoles, à des blocages de jeux, tu réponds à des soucis de consoles, puis tu pousses le clavier sous sa table et tu dors dans 10 mètres. Ceci pour que tu penses qu’en dormant dans 12 (mètres) tu pourras ajouter une plante, à ton chevet.
Je touchais du bois, je touchais du contre-plaqué, du carton plume, je ponçais ce bois, je le découpais, je le peignais, je touchais des papiers, ils n’avaient pas le même poids, ils n’avaient pas le même grain, ils étaient granuleux ou bien lisses, je tenais des feutres, des feutres très gros qui dessinent comme on peint, des feutres fins qui peignent comme on écrit, je mettais mes deux mains dans la sciure, dans le plâtre, dans la semoule ou la farine, j’utilisais des œufs cassés pour caler une plaque de verre. Ceci pour que tu n’oublies pas l’abstraction sèche des nouveaux cours de technologie, pour que tu te fasses aux claviers, aux schémas, aux clics dans des cases, aux émoticons, aux réparations à distance des moteurs de voiture, des cancers du poumon, pour que tu sois en mesure de t’exclamer lorsque tu vois un mouton, lorsque tu découvres une ancienne poignée de porte ou un gâteau qu’il te faudra décorer d’une cerise confite.
J’étais dans l’atelier de quelqu’un qui ne savait pas s’il se devait un atelier, et nous discutions de savoir si ; nous ne discutions pas de savoir quand, ni où, ni pourquoi, mais de savoir si. Ceci pour que tu n’ignores, que tu n’ignores rien de ce qu’il n’y a par ailleurs pas de si (qui tienne) ; qu’il y a une chaise, une table, une machine, identifiées ta chaise, ta table, ta machine, tu seras leur garçon ou leur fille, on dira : c’est le garçon de cette machine, c’est la fille de la table. Par ailleurs, tu rentreras chez toi, dans ton appart, dans ta chambre, dans ton lit, tu boiras ta boisson, tu éteindras ta lumière, tu dormiras ton sommeil, tout sera à toi et tu seras de tout.
Bonjour Lisa, qui a 30 ans, et puis bonjour Stef et Éric qui ont 17 et 25 ans, bonjour Amélie, 44, déjà une vie, des enfants et des animaux domestiques, un emploi régulier dans la soudure, bonjour Jean-Pierre ex-cheminot, ou encore Marianne en hôpital. Et puis bonjour bonjour tous mes régiments de frais bacheliers sachant écrire, d’ex-classes de prépa sachant ponctuer, sachant le poids du point-virgule et la situation des subjonctifs, bonjour bonjour les que je fasse que tu fasses que nous fassions, les qu’il sût et qu’ils sussent, que j’allasse que vous allassiez, bonsoir éventuellement les conditionnels, j’aurais je serais, nous serions vous auriez été, ils auraient eu tu serais été.
J’étais entré en payant 433 à Limoges, 300 à Nîmes, 586 à Marseille, 400 à Montpellier, 525 à Lyon, 562 à Annecy, 490 à Saint-Étienne, 398 à Grenoble, 500 à Brest, 900 à Biarritz, 490 à Tarbes, 433 à Cergy. Classes préparatoires à l’entrée aux écoles d’art : Marseille, frais de scolarité : 1 000 à 1 170€ ; 520 à Gennevilliers ; 570 à Beaune ; 792 à Lyon ; 250 à Sète : 964 à Annemasse ; 7 560 Atelier de Sèvres, Paris ; 5 890 LISAA, Rennes. Ceci pour que tu saches ce que tu vaux et combien tu coûtes, pour que tu saches ce qu’on dépense pour toi, ce que tu devrais payer en vérité, ce que tu coûtes de réalité, pour que tu apprennes ce que l’argent coûte, et au moment où tu seras en passe de payer.
2. Fondations.
Tu nous apporteras de la verroterie changée en saucisse.
Une allée de cyprès ferait pas mal à l’intérieur, et un béton lisse dans les toilettes. Les azulejos sont faits pour aller sur les murs, mais je les ai mis au plafond ; en vous tenant à la rambarde et en vous penchant bien en arrière, vous pouvez les compter. Je me demande si un jaune n’irait pas mieux qu’un vert, dans l’eau. Il n’y a rien d’automatique, tout est manuel, et la manipulation se fait à l’étage, par des Roumains affrétés de Roumanie. Des collines en zigzag ont été taillées sur mesure, et elles vibrent. À droite, en prenant le couloir de gauche, vous tomberez certainement sur un buffet entièrement doublé de croco. Il y a des trous dans le carrelage qui permettent de s’arrimer lorsqu’on est en talons et que le sol bascule cependant que les lampes s’éteignent. Il suffit de se tenir par un savant calcul au centre de la pièce où des fourrures tombent des cintres et vous couvrent si vous levez les bras en V, comme de Gaulle. J’ai défiscalisé mon chien. La cuisine n’est pas dissociée de la chambre, les fourneaux sont situés sous le lit et chauffent la literie en hiver. Derrière cette porte, il n’y a rien qu’un désert de styrène de 8 000 kilomètres carrés, avec des chameaux (vivants). Comme je n’aimais plus le pain, j’ai transformé mes boulangers en tripiers. Ici, plus bas, un artiste de mes amis a doré à la feuille la coquille d’escargot que je place en ligne la tête orientée vers une laitue située à trente centimètres. Quand les chaises en cristal se cassent, on appelle un fakir qui dispose les morceaux et marche dessus, avec des bougies tout autour. Le dressing a la taille d’un terrain de football. J’accompagne les oies en avionnette, jusqu’au grand nord, puis des cheminées leur sont réservées où elles nichent. Le paysage lui-même est retourné ; mais il revient debout quand vous faites le poirier. Le lustre donne à la fois de la lumière et de l’eau à bulles. Là-bas, un siège, de la forme de mon cul. On s’entraîne à la carabine sur des Basquiat contrecollés. J’adore les pommes de terre frites. Dans la véranda une autre véranda, et dans cette autre véranda, une autre véranda, et ainsi de suite, si bien qu’on ne peut loger par la porte que son petit doigt. Reconstitution d’une galerie de mine avec son cheval qui attend en bas, sa berline et son enfant dedans dont s’occupe une nounou. Comme j’aime beaucoup Balzac, je voulais insérer la maison de Balzac dans la mienne, et puis il y a eu des problèmes d’avocat. Des stadiers passés à la peinture jaune fluo nous permettent de jouer après vingt heures. Un four micro-onde en cuir, ça ne marche pas. Des bambous ombragent le couloir qui mène au garage. Quelque fois vous entendez un air de flûte, c’est une voiture qui démarre. Je vais peut-être me débarrasser de ma station service. Je porte la laine à même la peau et même je me l’introduis, mais elle est spécialement traitée, ça me coûte un bras. Il faudra faire un lapin aussi grand qu’un cheval. On a trouvé le moyen d’injecter des cigales dans le placo, qui chantent en octobre. Je me couche au sol et un acuponcteur assis en dessous pique aux bons endroits. J’ai barbouillé de fioul ces boîtes de caviar dans un accès de rage. La fille du cheikh a créé une petite banque dans ma salle à manger, elle ouvre aux heures de fermeture. J’ai moi-même dessiné les billets sur du papier kraft qui traînait dans l’armoire. Faites-moi donc venir Pierre-Loïc, j’ai un truc à lui demander. C’est une architecture tout en fer à la Eiffel mais qui rouille très vite ; peu à peu elle prend l’allure d’un Max Ernst. Les véritables poules sont de l’autre côté de la départementale que j’ai fait rajouter grâce au guano, enfin vous savez, la merde des poules. On pourra peut-être terminer ce système d’isolation conçu par l’archi. Chauffage par le sol, par les murs, par le plafond, en Antarctique, c’est indispensable. Si vous enregistrez un chat qui se lèche et si vous diffusez le son, très fort, vous avez l’impression d’être en pleine tempête. Ce protocole stupide quand même, un jour toutes les pièces sont en rouge, et l’autre jour toutes les pièces sont en bleu, etc., vous vivez dans l’odeur de la peinture et alors là quand même, même la peinture qui ne sent pas, elle sent […]. »
Et voilà, cela continue avec ces magnifiques fondations, qui apporteront une solution à tous vos problèmes !
Laurent Devèze [directeur de l’Institut supérieur des beaux-arts de Besançon / Franche-Comté]
Je voulais remercier Nathalie Quintane car il est très agréable d’entendre une création dans des débats.
Je veux vous faire part d’une expérience qui a assez bien fonctionné à Besançon. Nous avons mis en place des ateliers d’écriture pour essayer de décomplexer la question du mémoire. Je voudrais dire que les problèmes du secondaire perdurent dans les écoles d’art, et notamment le problème du rapport à l’écrit. Nous avons un certain nombre d’étudiants qui se sont définis consciemment ou inconsciemment contre la littérature, contre l’écriture, contre la philosophie. Ils se sont installés dans une sorte de marginalité scolaire et sont souvent amenés à se définir contre les matières traditionnelles. Le premier enseignement que la présence des écrivains dans l’école a apporté, est que l’écriture pouvait être d’abord une joie et ensuite une création. Ce qui nous paraît évident ne l’est pas pour tout le monde. Avant la venue régulière d’écrivains, l’écriture était vécue je crois comme un pensum. Chez beaucoup d’étudiants, elle était considérée comme quelque chose de superflu, qu’on leur demandait en plus de l’essentiel, c’est-à-dire la création visuelle.
Nathalie Quintane
Je voulais juste dire un mot au sujet du mémoire. Je ne suis évidemment pas du tout opposée au fait que l’on s’intéresse à la langue dans son aspect le plus concret, le plus matériel, le plus poétique, etc. Mais ce qui m’a frappée, c’est malheureusement la grande place qu’a pris le mémoire pour les étudiants de diplôme. Il est vécu comme quelque chose de contraignant et de passablement ennuyeux, parce que cela prend énormément de temps, pris au détriment du reste du travail. Je pense que cela aurait été beaucoup plus intéressant si cela n’avait pas été dans le cadre du diplôme, si cela avait été un enseignement comme ceux de la danse ou du théâtre dans les écoles. Je suis navrée que cette partie créative de l’écriture soit validée dans le diplôme.
Delphine Etchepare [directrice de l’École supérieure d’art des Rocailles, Biarritz]
À Biarritz, nous avons ouvert les enseignements à la littérature et à d’autres disciplines. Des artistes sont invités quatre semaines par semestre et participent aux bilans. On a invité notamment Xavier Boussiron et Sophie Perez, Olivier Cadiot, Rodolphe Burger. Mais, en effet, il faut du temps et c’est par la rencontre, par ces relations humaines sur du long terme qu’on crée une forme de légitimité et de compréhension de langages différents. Sur la question du mémoire, nous ne dispensons que le DNA à Biarritz, mais dès la première année, les étudiants rédigent un mémoire, pour que la question de l’écriture soit naturelle. De cette manière, l’écriture peut constituer un bon terrain d’expérimentation pour faire évoluer leur pratique.