1 Les formes institutionnelles de l’école d’art :
l’EPCC confronté à d’autres modèles2 La gouvernance de l’EPCC : le rôle des conseils
3 Quel contrat/statut enseignant pour quel projet pédagogique ?
4 Valoriser les initiatives étudiantes
5 Fusions, fédérations et mutualisations
6 L’école d’art dans le paysage de l’enseignement supérieur
7 L’école d’art, acteur du développement culturel et économique d’un territoire
8 Les conditions de soutenabilité d’une école d’art
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2 La gouvernance de l’EPCC : le rôle des conseils
Danièle Yvergniaux
Cette séquence porte sur l’articulation entre les conseils pédagogique ou scientifique de l’école, le conseil d’administration, la direction, voire le comité de direction quand il s’agit d’un établissement multisite. Pour évoquer cette question, deux interventions en préambule. Patricia Welinski, designer, professeur à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon, qui a l’expérience de siéger dans différentes instances de son établissement, donnera ce point de vue-là et nous parlera de son approche et de sa perception de cette organisation de l’école d’art. Stéphane Doré, directeur adjoint de l’École supérieure des beaux-arts Tours Angers Le Mans et directeur du site d’Angers, abordera également la question de la gouvernance, des établissements multisites notamment.
Patricia Welinski
On m’a demandé de venir faire un retour d’expérience sur ma participation en tant qu’enseignante et représentante des enseignants au conseil d’administration de l’école de Lyon, afin de faire part de mon analyse sur le rôle des différents conseils dans la gouvernance des écoles d’art, de mes questions et de mes éventuelles propositions. Si la question de la structuration juridique semble assez technique en rapport à nos missions d’enseignement, elle est au cœur du système qui permettra d’accompagner nos institutions dans leur mutation par la mise en place des conditions du débat et des prises de décisions. Je pense que c’est fondamental bien évidemment de repenser la manière dont ces conseils sont établis et comment ils communiquent les uns avec les autres. Comme on l’a vu, l’EPCC n’est pas strictement défini. On constate notamment des disparités entre les écoles : des conseils qui ne sont pas constitués de la même façon ou l’absence de conseil scientifique, etc. À Lyon, nous avons plusieurs conseils – je participe presque à tous – mais j’évoquerai les deux conseils qui sont à mon sens les plus intéressants dans le cadre de ce forum : le conseil scientifique et le conseil d’administration.
Tous les ans, on reconstruit ces conseils, ce qui tend à prouver que l’on est en train de mettre en place ces outils qui ne sont pas encore tout à fait adaptés. Le passage à l’EPCC a eu beaucoup de conséquences sur nos manières de fonctionner en tant qu’enseignants, et il a amené une certaine transparence aussi, il faut le dire, sur la manière dont les écoles sont gérées. Il est important de le signaler. Ce que l’on fait ensuite de cette information, de cette transparence, et comment elle est intégrée et même appropriée par les enseignants, c’est une toute autre question.
Le conseil scientifique
Le conseil scientifique est composé à Lyon essentiellement d’enseignants qui sont à la fois élus et nommés. Son rôle est d’épauler et de conseiller le directeur. On y traite de questions à caractère prospectif sur le projet pédagogique, les objectifs scientifiques, la stratégie de recherche de l’établissement et les partenariats à mettre en place. Les enseignants sont là en tant que triplement experts : experts de la pédagogie de l’art, experts de la manière dont les choses décidées en conseil peuvent être appliquées et experts des milieux artistiques et professionnels.
Ce qu’on peut constater aujourd’hui, c’est que, bien que ces conseils scientifiques soient en général très intéressants, certaines choses les rendent un peu frustrants et déceptifs pour les enseignants. De ce fait, l’implication des enseignants, ne serait-ce que pour être candidat, est faible. D’abord, le conseil scientifique traite trop souvent du court terme, en particulier des urgences financières, ce qui n’est pas notre domaine d’expertise ni notre vocation. Les enseignants aimeraient avoir au contraire des débats de fond mais ne trouvent pas forcément de lieux ni d’instances pour le faire. Ensuite, l’EPCC a considérablement alourdi la tâche des enseignants au niveau administratif. Enfin, les ajustements budgétaires des écoles, avec des budgets à la baisse, ont des conséquences évidemment sur les contrats des enseignants, sur la pérennité des équipes, et donc la perspective à long terme pour les enseignants est plus à l’inquiétude qu’à la quiétude pour pouvoir réfléchir ensemble au long terme de l’avenir de l’école.
Le conseil d’administration
Au sein du conseil d’administration de l’Ensba Lyon, nous sommes deux représentants enseignants sur vingt-quatre membres. Avec deux représentants de l’équipe administrative et deux représentants étudiants, nous sommes donc une minorité. Dans ce cadre, les enseignants ont un rôle pédagogique puisque, dans les conseils d’administration, les gens en présence ne sont pas forcément très au courant ou très impliqués dans les milieux artistiques ou de pédagogie artistique. Ils pourraient en effet appliquer de mauvais schémas de l’enseignement supérieur. On est là pour donner à entendre ce qu’est une école d’art et ce qu’est l’enseignement dans les écoles d’art. Nous avons aussi le droit de vote : nous pouvons dire pourquoi nous sommes d’accord ou pas avec ce qui est proposé au conseil d’administration. Enfin, nous pouvons être force de proposition bien évidemment. Ce qui est très important, c’est qu’au moment du conseil d’administration lui-même, il me semble que les choses doivent être présentées d’une certaine manière, car il y a un certain type d’attentes et de propositions qui sont faites dans un cadre avec des pressions, des contingences qui nous échappent peut-être un peu, mais qui à un moment nous concernent. Il est donc très important d’organiser en amont des conseils des séances de préparation. Nous le faisons à Lyon, pour ajuster ce que l’on va dire, même si nous ne sommes pas toujours d’accord entre nous.
Mais, même quand on organise ces préparations comme à Lyon, on ne parvient pas vraiment à faire ressortir en conseil d’administration la parole du conseil scientifique et la manière dont le conseil scientifique débat. Cette parole est exprimée, mais pas de manière formelle. D’ailleurs, le conseil scientifique ne prend pas position formellement. Il prend position en discussion, il joue son rôle de conseil à la direction, mais, puisqu’on n’a pas la possibilité de prendre massivement et formellement position en conseil d’administration, il y a une certaine frustration chez les enseignants.
Je souhaiterais terminer par quelques conclusions.
Il faut redonner une place à la discussion de fond, au projet prospectif et au long terme… L’implication des enseignants sur ces questions est réelle par leur investissement dans les milieux professionnels, implication pour l’avenir de nos métiers et de nos écoles, mais elle ne trouve pas tout à fait sa place dans les instances actuelles de gouvernance qui doivent gérer les urgences budgétaires et les invectives politiques.
Il faut donner plus de poids à un positionnement collectif du conseil scientifique qui, s’il n’est pas décisionnaire, pourrait se faire entendre de manière plus officielle lors des conseils d’administration.
Il faut réaffirmer la confiance envers les enseignants et leur reconnaissance par leurs statuts, leurs types de contrats, et les engagements fermes et à long terme des institutions à leur égard…
Il faut inventer des lieux de débats et d’échanges où vont se construire la mutation des écoles d’art et un véritable projet d’avenir à long terme.
Stéphane Doré
Je voudrais commencer par dire que nous avons le statut qui est lié à notre histoire. Notre histoire, ce sont les anciennes académies, qui ont 200 ans. Les écoles d’art sont aujourd’hui financées par les collectivités territoriales en grande majorité et le statut qui a été choisi n’est pas celui de l’enseignement supérieur avec un État qui finance à 80 %, puisque nous sommes les seules écoles financées par les collectivités territoriales dans l’enseignement supérieur. C’est un point fondamental qui explique aussi que nous avons une relation extrêmement particulière avec nos élus et nos collectivités territoriales. Nous sommes autant des acteurs territoriaux que des établissements d’enseignement supérieur. Il y a une chose qui est fondamentale et qu’on ne dit pas assez. Il faut savoir que la loi du 4 janvier 2002 sur les EPCC ne définit qu’un seul conseil : le conseil d’administration. Les autres sont définis par les écoles dans leurs statuts. Les écoles ont toutes plus ou moins adopté les mêmes statuts qui étaient des statuts modèles, mais ceux-ci peuvent être adaptés, modifiés par le conseil d’administration. Par conséquent, on peut réinventer n’importe quelle organisation avec l’ensemble des membres du conseil d’administration.
La loi stipule que 50 % au moins des membres du conseil d’administration sont des représentants des collectivités contributrices, le reste des sièges est pour les membres de l’établissement, les étudiants, les enseignants, les techniciens et administratifs, et les personnalités qualifiées. Si on regarde la constitution de l’EPCC Esba TALM par exemple, nous avons 14 représentants des collectivités et 2 de l’État, 3 personnalités qualifiées, 4 représentants du personnel dont 3 enseignants, et 2 étudiants. Ce qui veut dire clairement qu’on applique la loi et que la majorité est aux collectivités territoriales.
Le conseil d’administration est un organe décisionnel qui a une importance non seulement pour les enseignants, mais aussi parce qu’il permet de parler aux élus. Et je vous rappelle que le directeur, lui, est responsable devant le conseil d’administration pour toutes ses actions, et si vous avez, vous professeurs, un endroit où vous devez parler, c’est bien celui-là, parce que c’est le seul en effet qui peut vraiment inquiéter un directeur.
Les statuts de l’Esba TALM ont institué d’autres conseils non prévus par la loi (conseil de la vie étudiante, conseil scientifique, conseil de direction…) mais ces conseils peuvent tout aussi bien être institués, de manière plus légère, plus facilement modifiable, dans le règlement intérieur, y compris en ce qui concerne leur composition et les élections. Cela veut dire aussi que le règlement intérieur peut être modifié à loisir via le conseil d’administration et via toutes les mesures de consultation : comité technique, commission de la recherche, de la pédagogie et de la vie étudiante (CRPVE), commission pédagogique, etc. L’école d’art aujourd’hui, en termes de statuts, peut se réinventer. Le directeur ne prendra certainement pas de décision importante sans en parler au conseil pédagogique. C’est donc un lieu extrêmement important, mais où l’on traite plus en effet des questions qui concernent le fonctionnement et l’organisation de l’école que du projet d’école. Je pense que dans beaucoup d’écoles, cette question de l’accord originel sur le projet de l’établissement n’a jamais été véritablement levée, et il y a un gros travail à faire sur ce que pourrait être cet accord originel, aussi bien en termes de pédagogie qu’en termes d’action territoriale.
Pour les multisites, cela se complique lourdement, car plus on est nombreux plus il faut définir ce que l’on met ou pas en commun. C’est un peu le même système que pour l’université, c’est-à-dire que vous avez un seul budget pour l’université et les composantes. Dans les écoles, on a des personnalités qui sont très fortes, parce que ce qui forme une école, c’est à mon sens le trio suivant : l’équipe enseignante, les outils et les locaux. Ce sont trois choses fondamentales qui sont liées, et qui font que chaque école a ses spécificités. Trois écoles rassemblées au sein d’un même EPCC, cela signifie qu’il faut définir ce qu’on va mettre en commun et ce que l’on va laisser de l’identité de chaque école d’origine. D’où les questions qui sont absolument essentielles : si l’on ne définit pas ce commun, à quoi sert ce conseil commun pédagogique qui est commun aux trois écoles ? Je vais conclure en indiquant quelles sont, selon moi, les capacités d’amélioration. D’abord, la nécessité d’organiser un temps prospectif et de réflexion stratégique propre, inventer un autre système, prenant la forme d’un séminaire par exemple. Ensuite, la nécessité de redéfinir précisément le projet de l’établissement pour l’articuler aux champs d’application des conseils. Enfin, la nécessité de veiller aux équilibres entre les conseils. Parmi les conseils de l’Esba TALM, il y a un conseil de direction, composé d’un directeur par site et du directeur général, où il y a une discussion vraiment commune sur l’avancée des trois sites. On avance beaucoup mais avec un risque de déséquilibre profond si on ne s’entend pas. Si on s’entend, c’est une force mais qui peut aussi rentrer en déséquilibre avec les équipes et les autres conseils consultatifs.
Emmanuel Tibloux [directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon et président de l’ANdÉA] Je voudrais réagir à un propos de Stéphane. Je trouve qu’il est extrêmement imprudent et pas tout à fait juste de parler comme tu l’as fait du conseil d’administration comme du lieu où les enseignants peuvent régler leur compte avec le directeur. Et je ne le dis pas parce qu’il s’agirait de sauver la corporation des directeurs. Ce qui doit être absolument valorisé, c’est l’école en tant que telle, et un conseil d’administration, ce n’est pas du tout cela, sauf en effet situation exceptionnelle de conflit. L’enjeu principal est la rencontre qui s’effectue et le dialogue qui s’instaure entre l’école et les politiques, les tutelles, les financeurs. L’enjeu majeur est celui-ci, et c’est la raison pour laquelle il me semble indispensable qu’il y ait des réunions préparatoires qui s’attachent précisément à trouver un accord, un consensus. Tout ce qui est de l’ordre de la négociation interne n’a pas à avoir lieu dans le conseil d’administration, sinon c’est le symptôme d’une très grande crise.
François Landais [directeur de l’École supérieure des beaux-arts TALM Tour Angers Le Mans] Nous avons un problème de représentation chez les enseignants, eux qui constituent pourtant le cœur de nos écoles, leur force vive. Des professeurs nous disent qu’ils veulent une instance pédagogique décisionnelle, or comme l’a dit Stéphane, l’instance décisionnelle, c’est le conseil d’administration. Nous avons donc de nouveaux lieux de discussion et d’écoute à inventer.
Pierre Oudart [directeur adjoint de la création artistique et délégué aux arts plastiques, ministère de la Culture et de la Communication] Je voudrais apporter un témoignage. Souvent, quand je vais dans les écoles, c’est parce qu’il y a une crise. Il y a des constantes. Quand il y a crise, c’est rarement à cause des statuts. J’ai vu des statuts EPCC, EPA, et il y a même un EPIC (l’Ensci) avec un comité d’entreprise. En revanche, défaut d’explicitation du projet, défaut de partage du projet, manque d’informations, manque de partage de l’information, manque de conception de l’information, c’est systématique. Manque aussi de formation, car dans une école il y a des gens qui vivent dans des époques et des temps différents, indépendamment des différences d’opinions, et donc il y a besoin d’une formation commune, notamment sur les modalités de la gouvernance. Qu’est-ce qu’un conseil d’administration ? Qu’est-ce qu’une personne morale ? Quels types de décisions prendre ?