1 Les formes institutionnelles de l’école d’art :
l’EPCC confronté à d’autres modèles2 La gouvernance de l’EPCC : le rôle des conseils
3 Quel contrat/statut enseignant pour quel projet pédagogique ?
4 Valoriser les initiatives étudiantes
5 Fusions, fédérations et mutualisations
6 L’école d’art dans le paysage de l’enseignement supérieur
7 L’école d’art, acteur du développement culturel et économique d’un territoire
8 Les conditions de soutenabilité d’une école d’art
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8 Les conditions de soutenabilité d’une école d’art
Hervé Alexandre
Je remercie Aymée Rogé, directrice de la culture de la Ville de Strasbourg, et Philippe Cougrand, directeur adjoint de l’École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux, pour leur présence et pour répondre à cette question : quelles sont les conditions de soutenabilité de l’école supérieure d’art ? Selon vous aujourd’hui, afin que dans cinq ans nous puissions être encore là, quelles sont les conditions de notre survie, de notre soutenabilité ? Quel est le regard que vous voudriez bien porter sur cette question ?
Aymée Rogé
Qu’est-ce que la soutenabilité appliquée aux écoles d’art ? Y a-t-il un développement durable propre aux écoles d’art ou comment les écoles doivent-elles permettre un développement qui s’appuie sur les trois piliers du développement durable – le développement économique, le respect de l’environnement et le souci de justice sociale – tout en ménageant deux horizons temporels que sont la satisfaction des générations actuelles et celle des générations futures ? On voit bien que le sujet n’est pas tout à fait naturel. Je pense qu’on peut entendre « soutenabilité » d’une autre façon qui inquiète, mais peut-être à laquelle il faut se confronter, au sens « d’être soutenable » ou « d’être non soutenable », ce qui voudrait dire que ce qui est interrogé, c’est la capacité d’une école supérieure d’art à rembourser l’investissement qu’elle représente, intérêts compris.
Au-delà du fait qu’elle représente une charge, ce qui est incontestable, cela signifierait que l’école d’art a aussi une dette. On voit bien que la forte présence du vocabulaire économique ici est une question, voire la question, qui fâche potentiellement, entre d’un côté, pour être assez caricatural, des partenaires publics, financeurs qui veulent un « retour sur investissement » pour continuer ce champ lexical, et de l’autre, des écoles d’art dont le référentiel n’est a priori pas le marché, ni l’économique un champ naturel. Pour autant, c’est oublier un peu vite qu’il y a aussi un marché de l’art, comme il y a un marché de l’emploi et qu’il existe des mécènes depuis quelques siècles, voire plus. Au-delà des apparences, l’interdépendance des champs est plus poussée qu’on ne le croit.
C’est sous l’effet de facteurs exogènes que la question de cette soutenabilité se pose, facteurs qui font craindre un affaiblissement, voire une disparition dans certains cas, des écoles d’art, du fait de la baisse des crédits des financeurs (collectivités, État bien sûr). L’autonomisation des écoles territoriales sous la forme d’EPCC rend aussi le lien aux collectivités plus lâche et plus distant, ce qui, pour être clair, rend parfois beaucoup plus facile le fait de baisser les subventions, sans compter bien évidemment la possibilité de changement de majorité politique, avec des risques objectifs dans certains cas de coupes drastiques voire de retrait. Enfin, cette question de la soutenabilité se pose avec la « dilution » d’un modèle particulier, celui de l’école d’art, par rapprochement avec l’université, et plus largement dans le contexte actuel de crise et d’évolution de la société, avec une demande sociale indéterminée et vague et une opinion publique qui pourrait se demander à quoi sert une école d’art.
La question de la soutenabilité se pose aussi peut-être, pas seulement sous l’effet de ces facteurs exogènes, mais sous l’effet de facteurs internes, des gouvernances nouvelles, notamment avec la mise en place des EPCC, avec des équipes enseignantes et des étudiants qui se posent aussi cette question en retour. Il s’agirait de se défendre, de réagir, de se battre même, avec des armes qui parlent à la partie adverse, c’est-à-dire, en temps de disette budgétaire, avec le vocabulaire économique. Je reformulerai donc la question : quelles sont les conditions qui font qu’une école d’art va perdurer au bénéfice de la société dans son ensemble et des étudiants, aujourd’hui et demain ?
À cet égard, il faut peut-être que je précise d’où je parle, parce que c’est aussi une façon de répondre à la question. J’ai été administratrice générale de la Haute école des arts du Rhin et je suis désormais directrice des affaires culturelles de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg. C’est une façon sans doute de protéger un peu l’école d’art… mais aussi d’être évidemment sur un territoire très riche sur le plan culturel, et très riche tout court, puisque la politique culturelle de la Ville représente un quart du budget municipal, et que ces moyens sont défendus avec une conviction très profonde du maire et des élus dans leur majorité. S’agissant de l’école spécifiquement, sa présidente est à titre personnel très investie sur ces questions et une fine connaisseuse du milieu.
Qu’est-ce qu’une collectivité publique ? Une Ville en l’occurrence, qui soutient une école supérieure d’art, et qui le fait notamment pour que celle-ci contribue à son rayonnement national et international. L’école est un acteur économique du territoire, comme on l’a vu en effet tout à l’heure, par les enseignants qu’elle attire, par les étudiants qu’elle forme, par l’apport de « créativité majeure » qu’elle représente, comme acteur de la formation continue demain, par le fait d’être un acteur culturel mais aussi social du territoire, nouant des partenariats avec d’autres établissements de tous ordres. Et puis, dans ce qui, peut-être, la protège, il y a un certain nombre d’outils : le projet d’établissement, les conventions d’objectifs et de moyens, l’évaluation du HCERES, la participation au contrat de Ville, la création d’une société des amis ou d’un club de mécènes, etc.
Mais, au-delà de ces généralités et de ces outils, l’une des conditions de réussite est de s’inscrire authentiquement dans le territoire. Au-delà des grands concepts ici énoncés, ce qui est moins facile à mettre en avant, ce qui est moins tangible et qui caractérise les écoles, c’est un fonctionnement en réseau qui innerve toute une communauté et qui forme sur le territoire un écosystème auquel une politique culturelle ne peut pas être insensible ni sourde si cet écosystème est bien réel : le lien avec les musées, les lieux d’exposition, les centres d’art, les universités et, comme c’est le cas à Strasbourg où l’école est pluridisciplinaire, le conservatoire, l’orchestre, l’opéra et les festivals. Je pense que cet écosystème est plus fort quand, comme c’est le cas à la Haute école des arts du Rhin, les enseignants sont issus pour une large part du territoire ou s’ils l’habitent au sens propre du terme. Cela joue évidemment sur la perception qu’ont les habitants de l’école d’art, les leaders d’opinion et les dirigeants au sens large, au premier rang desquels figurent les élus. En résumé, tout ce qui est facteur d’une proximité, d’une familiarité entre l’école et sa ville et qui rend organique le lien entre le territoire et l’école, constitue à mon avis l’une des conditions du futur de l’école supérieure d’art.
Enfin, le point sur lequel je veux insister est la nécessité de faire savoir tout ceci et de le donner à comprendre, j’entends la question de la communication, de la façon dont on parle des écoles, de « marketing territorial ». Dans le contexte actuel, on comprend parfaitement pourquoi les écoles ont une position souvent défensive au regard de leur soutenabilité. Je pense au contraire qu’il est important qu’elles puissent être fières et revendiquer ce qu’elles font, comme le fait très bien l’ANdÉA. C’était très frappant hier matin d’entendre tout ce qui est fait avec les galeries, avec l’Onisep, avec le Palais de Tokyo, pour mettre en avant les formations, les étudiants, les diplômés. Ce travail qui est fait au plan national par l’ANdÉA doit être fait également sans relâche au plan local, quel que soit le niveau de collectivité.
Parce qu’il faut prendre le point de vue de l’autre. Dans les temps actuels, pour des élus locaux, défendre une école supérieure d’art quand on se pose la question de limiter la construction des écoles primaires, de peut-être revoir les critères d’admission des enfants en restauration scolaire, de revoir les programmes de logements, de se poser la question de comment on fait face aux demandes croissantes des bénéficiaires de minima sociaux, en ces temps oui, c’est compliqué de défendre une école d’art. Il faut l’entendre, mais il ne faut pas s’en défendre. Il faut comprendre que ce n’est pas non plus évident de rendre intelligible et tangible son activité. Le monde de l’art contemporain peut sembler très référencé, alors que, quand on le connaît un peu, on sait que c’est un des champs les plus ouverts à l’autre et qui admet le plus facilement le fait de venir sans bagage particulier. Quand on n’a pas un proche qui est issu ou qui fréquente une école d’art, quand on n’est pas un fin amateur d’art contemporain, en réalité cela ne parle pas tant que ça.
Je pense donc que ce que les écoles d’art jouent à cet endroit, si elles n’entendent pas cela, c’est moins leur soutenabilité que leur survie même. Elles doivent faire preuve de pédagogie, accepter ces questions sans s’en effrayer, pour témoigner de ce qu’elles font auprès des hommes et des femmes politiques, des dirigeants au sens très large et des publics. Dit autrement, c’est reconnaître qu’effectivement, elle a une dette vis-à-vis de la société, parce qu’elle est financée par de l’argent public. Si elle est financée par de l’argent public, c’est parce qu’elle sert le bien commun, c’est parce que précisément elle n’est pas et ne sera jamais rentable. C’est parce qu’elle représente un investissement, parce que précisément elle prépare l’avenir. Elle n’offrira donc pas de retour sur investissement à court terme ou sous un angle comptable. En revanche, elle doit mettre en avant son utilité sociale, qu’elle a incontestablement, qui la justifie et qui la fonde.
Donc la condition de la soutenabilité, pour moi, est de deux ordres. L’école d’art doit continuer à être ouverte à tous, à investir la ville comme terrain d’expérimentation, comme terrain de jeu parfois, partagé entre les étudiants et les habitants. Mais elle doit aussi faire preuve d’elle-même de pédagogie sur ce qu’elle est, non seulement en son cœur mais aussi dans sa périphérie, sans chercher en permanence à répondre aux attentes, qui se comprennent par ailleurs, des collectivités selon les niveaux, Ville, Métropole, département, Région. Le risque en ne répondant qu’à des dispositifs particuliers est une dilution de son objet même. Je pense que c’est par le centre, par son objet même qu’elle doit, non pas se défendre, mais s’expliquer, comprendre que ce n’est pas si simple pour l’autre et faire preuve de pédagogie par l’expérience, par le sensible, ce qui est finalement le propre de son enseignement.
Philippe Cougrand
Quand j’entends le terme « soutenabilité », j’entends la voix de mon contrôleur budgétaire régional me demander, à propos de dépenses inscrites au budget, dont il ne comprend pas la portée : est-ce soutenable ? Plus sérieusement, si la soutenabilité, c’est envisager les conditions de pérennité d’une école dans un territoire sur le long terme, alors j’ai l’impression d’avoir signé un bail avec l’éternité : en effet, Bordeaux présente des conditions très particulières qui font que cette école est par essence pérenne. L’École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux est issue d’une longue tradition locale d’architecture et d’une formation jadis liée aux Beaux-Arts de Bordeaux. Elle est devenue indépendante après la réforme de 1968, puis un établissement public administratif en 1978. Dans la Région Aquitaine, c’est la seule école d’architecture et de paysage – il y a vingt écoles d’architecture en France, placées sous la tutelle du ministère de la Culture, dont deux d’architecture et de paysage. La Région Aquitaine triplant de volume au 1er janvier, cette école reste néanmoins la seule de ce type dans la nouvelle Région que quelqu’un, hier, comparait à l’Autriche en ce qui concerne sa superficie.
L’ensapBx assure une mission de formation des architectes et, depuis 1991, des paysagistes. De ce fait, l’école s’est organisée autour de deux pôles qui, pour faire bref, concourent pour le premier, à la formation d’architectes maîtres d’œuvre, à la formation d’architectes plutôt ouverts sur l’urbanisme, sur le territoire, sur la médiation, et pour le second à celle de paysagistes compétents en maîtrise d’œuvre ou tournés vers la connaissance scientifique et socio-historique des évolutions paysagères.
On peut considérer que la formation de l’architecte maître d’œuvre fait moins appel aux collectivités. En revanche, celle de l’architecte œuvrant sur la grande échelle territoriale autant que celle du paysagiste repose sur une appréhension des enjeux réels du territoire : elle fait donc entrer d’autres acteurs que ceux de la seule formation initiale. Ces autres acteurs, par leurs missions, leurs rôles, participent du territoire sur lequel vont avoir à travailler les étudiants (élus décisionnaires, administrateurs, utilisateurs, etc.). Cette collaboration avec les collectivités a obligé l’école à entretenir des relations plus importantes, plus denses avec les acteurs du territoire, voire des relations débouchant sur des financements : cela modifie globalement la conception traditionnelle de l’école et oriente à terme son mode de fonctionnement.
Une école d’architecture, c’est un millier d’élèves, un financement de l’État à 75 %. Les 25 % restants sont financés par moitié par les droits d’inscription des étudiants et les droits annexes, et pour les 12 à 15 % restants par des partenariats avec les collectivités territoriales. Ces partenariats sont à la fois des partenariats de recherche et des partenariats pédagogiques qui viennent ouvrir aux étudiants de nouvelles possibilités d’approfondissement des pratiques.
Aujourd’hui, cette économie pédagogique appuyée sur les collectivités demeure encore artisanale. L’État assure globalement l’essentiel, et la collaboration avec les territoires un complément indispensable, lequel participe au fonctionnement quotidien, sans assurer un développement pérenne. Or, la conjoncture financière publique est de plus en plus étroite. La seule façon d’assurer la pérennité des missions d’enseignement, la soutenabilité des établissements dans le temps, c’est d’intégrer les collectivités territoriales et les partenaires locaux dans le jeu pédagogique. C’est cette ouverture-là qui va permettre la soutenabilité d’une école sur le long terme. Aujourd’hui, dans notre conseil d’administration, nous avons choisi d’intégrer des personnalités de la Région, de ce qui était la Communauté urbaine et qui est maintenant la Métropole, des partenaires avec lesquels il faudra élaborer des politiques pédagogiques de long terme. Il s’agit, avec eux, d’intégrer nos étudiants et nos missions d’enseignement aux problématiques de la politique territoriale pour être, non pas quelqu’un qui regarde, mais un acteur fondamental de ces problématiques.
À Bordeaux, nous avons également la chance d’avoir une structure de diffusion au rayonnement national, voire au-delà. Il s’agit du centre d’architecture arc en rêve. Cette structure, au-delà des collectivités territoriales, est l’un des partenaires que nous visons à associer pleinement aux missions de l’école, et avec lequel nous approfondissons nos liens afin de construire une médiation vers les publics et les décisionnaires. Par-là, nous visons au désenclavement de l’enseignement. Il y a aussi à Bordeaux une biennale d’architecture qui se déroule tous les deux ans : Agora. C’est dire à quel point l’architecture est quelque chose qui parle à la Ville de Bordeaux et à la Métropole, d’autant que le label Unesco met en valeur une architecture et un urbanisme extrêmement symboliques de ce territoire-là, constitutifs de son histoire, de la perception qu’en ont les gens qui viennent à Bordeaux. L’architecture est au cœur du sujet pour la Ville. De ce fait, la Métropole soutient l’école dans les projets et réflexions liés à son développement matériel, à sa rénovation, à son déplacement éventuel dans l’espace, à une requalification rendue nécessaire par le vieillissement d’un bâti que l’État a fort mal entretenu. La Région qui est un acteur majeur du développement du campus a aussi un fort intérêt au développement de l’école dans le cadre de la densification et de l’excellence universitaires.
La pérennité de l’établissement est confortée par ces liens constamment entretenus et renouvelés. C’est parce que nous pourrons être l’école de la Métropole que nous porterons une part de l’imaginaire collectif bordelais. C’est parce que nous serons des partenaires de la Région, et reconnus par elle, que nous aurons cette capacité à véhiculer nos valeurs pédagogiques au-delà de Bordeaux, de la Gironde, sur l’Aquitaine-Limousin-Charentes-Poitou. La nouvelle dimension régionale, à partir du 1er janvier, est en soi un défi bien plus vaste que ce à quoi nous avons eu à nous frotter jusqu’à aujourd’hui. Pour compter sur cet immense territoire, il devient extrêmement important de n’être pas seulement un acteur, mais un référent reconnu et estimé.
Ce qui nous ramène à la soutenabilité. Elle tient en ceci : comment s’assurer les relais, comment s’assurer les alliés nécessaires pour sortir de ce que nous sommes aujourd’hui et se réinventer demain ? Parce que s’il ne s’agit que d’être une école qui forme des maîtres d’œuvre en architecture et en paysage, qui forme des acteurs réfléchissant en circuit fermé sur l’architecture, le paysage, sur des projets urbains, c’est simple : nous pouvons continuer à faire ce que nous savons faire. Or cela ne suffit pas pour être demain une grande école d’architecture et de paysage, pour être une référence – chacune des vingt écoles cherchant à l’être dans son domaine particulier. C’est la nature des alliances nouées avec les partenaires locaux qui fera la différence et assurera une soutenabilité durable.
Julia Reth [responsable des relations internationales de la Haute école des arts du Rhin]
Quel est le lien entre la soutenabilité de la profession et la soutenabilité de l’école, et ce, en lien avec la crise de la profession des architectes ?
Philippe Cougrand
La calibration de l’école au niveau des étudiants qui rentrent est à la mesure de ce que l’on peut estimer s’agissant de ce que la profession et son marché de l’emploi sont capables d’absorber. Je rappelle qu’il faut cinq ans pour former un architecte diplômé d’État, auxquels s’ajoute une année d’habilitation à la maîtrise d’ouvrage en nom propre pour que l’architecte puisse se prévaloir du titre d’architecte et s’inscrire au tableau de l’ordre. Quand on fait rentrer quelqu’un pour le faire sortir six, sept ou huit ans plus tard, c’est un pari sur l’avenir car on ne sait pas comment les choses seront à ce moment-là. Nous adaptons donc le calibre des étudiants, nous en prenons une centaine, nous sommes allés jusqu’à 160 il y a cinq ans, puis cela a baissé. C’est le paradoxe d’ailleurs : il y a un gros renouvellement générationnel qui fait que beaucoup d’architectes vont partir à la retraite. Mais la profession est en crise, parce que le bâtiment est en crise. Notre approche est empirique, essayant de nous projeter dans le temps, à partir de ce que la situation est aujourd’hui, de son évolution les dernières années et de comment elle pourrait évoluer, stagner ou régresser, et en essayant de nous positionner pour assurer une formation avec un débouché et une inscription dans la vie professionnelle.
Patricia Oudin [responsable Emploi Formation des métiers de la culture et enseignement supérieur de la Région Limousin] Vous parlez beaucoup de la Métropole, mais, dans un mois et demi, nous serons mariés au sein d’une grande Région dans laquelle Bordeaux Métropole représente à peine 12 % de la population. Est-ce que ce n’est pas un peu dangereux d’avoir ce discours très orienté sur la Métropole ? Comment pouvez-vous investir le reste du territoire et notamment ce territoire sur lequel vous n’alliez pas jusqu’à présent, en tout cas pas ouvertement, qu’est le territoire rural notamment du Limousin, de Poitou-Charentes ainsi que les zones rurales qui sont sur le reste de la Région Aquitaine, parce qu’il n’y a pas que des grandes villes ?
Une histoire avec pleins d'histoires partout, Nicolas Blanc, Paul Calloc’h et Maialen Imirizaldu, La Boussole © Pierre Casas
Philippe Cougrand
Nous parlons de l’École d’architecture et du paysage de Bordeaux. Les moyens pour la développer et l’enrichir matériellement parlant, sont à Bordeaux. L’ambition de l’école est d’être l’école de la Ville et des territoires. Pour ce qui est du territoire, je pense que les paysagistes chez nous sont davantage porteurs de cette philosophie réflexive sur l’évolution du territoire. C’est sur terrain-là je pense que nous avons quelque chose à construire quel que soit le nom du territoire, département ou ville.
Julia Reth
Je pense que la soutenabilité des écoles culture au sens large passe également par leur capacité à garder une portion des diplômés sur leur territoire, parce que ce sont eux qui les rendent visibles, qui les représentent, parce qu’un artiste et son œuvre, ainsi que son engagement sur un territoire, cela parle de lui-même, sans forcément avoir besoin de mots. Qu’en pensez-vous ?
Aymée Rogé
Une école d’art en soi est très difficile à cerner et à percevoir et il faut l’incarner. Pour la simple raison qu’on cultive des individualités, des projets singuliers, cela rend la généralisation difficile. Cela fonctionne mieux quand on sait que tel artiste a été formé dans telle école, qu’il habite là, réside là désormais, qu’il fait ceci, telles actions « authentiques ». Je parlais de pédagogie parce que c’est aussi avec une certaine bienveillance et dans un esprit d’accueil de l’autre, l’autre étant le politique, les services culturels, les services de l’État, qu’il s’agit de décrire ce que sont les écoles d’art, en pensant que l’autre ne connaît pas forcément.
Hervé Alexandre
Sur l’aspect authentique aussi bien pour les enseignants que pour les étudiants, la question de participer à la vie parce qu’on vit là fait débat. Cette distinction entre les professeurs parisiens qui peuvent amener une plus-value de réseau et le professeur local est à considérer, mais sa pertinence n’est pas certaine, pour Bordeaux par exemple, quand on va se retrouver dans un an à deux heures de Paris…
La deuxième question porte sur « l’embouteillage » qu’il peut y avoir en termes d’emploi et de débouchés. Quand des écoles sont très fortes, très reconnues sur un territoire, leurs diplômés font tout pour rester dans cet environnement attractif et plaisant. Cet embouteillage peut donner l’impression à l’arrivée que ces études ne mènent à rien et fabriquent des chômeurs. Il y a à la fois la question de nourrir le tissu, mais à partir du moment où on a une forte population d’artistes, d’avocats, etc., on est sur ce type de tropisme qui fait que petit à petit on construit une autre image. Il y a un équilibre à trouver qui n’est pas évident.
Julia Reth
Ne pensez-vous pas que la différence est que nos diplômés créent leur propre activité ?
Hervé Alexandre
Oui, mais il peut y avoir une représentation publique de cette situation et donc c’est la perception de ce territoire qui souvent prévaut. Quand on parle au Conseil général pour être concret ou à Pôle emploi, avec leurs critères, nous avons à communiquer, à expliciter et à être pédagogues, tout en entendant nos interlocuteurs.