1 Les formes institutionnelles de l’école d’art :
l’EPCC confronté à d’autres modèles2 La gouvernance de l’EPCC : le rôle des conseils
3 Quel contrat/statut enseignant pour quel projet pédagogique ?
4 Valoriser les initiatives étudiantes
5 Fusions, fédérations et mutualisations
6 L’école d’art dans le paysage de l’enseignement supérieur
7 L’école d’art, acteur du développement culturel et économique d’un territoire
8 Les conditions de soutenabilité d’une école d’art
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5 Fusions, fédérations et mutualisations
Danièle Yvergniaux
Cette deuxième demi-journée du forum II portera davantage sur les établissements, les écoles supérieures d’art dans leur environnement, leur structuration et le rapport avec, notamment, l’enseignement supérieur et le territoire. Un point sera également fait autour de la question de l’économie des écoles d’art.
Hervé Alexandre
Un certain nombre de nos écoles en EPCC sont de forme multisite. Mathieu Ducoudray, secrétaire général de l’École européenne supérieure d’art de Bretagne, nous tracera de cet établissement sur quatre sites (Brest, Lorient, Qimper et Rennes) une analyse organisationnelle critique, en regard de laquelle sera présentée l’organisation des écoles arts et métiers en France par Laurent Arnaud, directeur de l’École Nationale Supérieure d’Arts et Métiers – Campus de Cluny.
Mathieu Ducoudray
Partant de ses acteurs, je porterai un regard sur les spécificités, les forces et les faiblesses d’une école supérieure d’art multisite. Les étudiants, les usagers (publics des pratiques libres / amateurs / publics ne relevant pas des cursus du supérieur), les personnels (pédagogiques, techniques et administratifs), les personnes publiques membres de l’établissement (Ville ou Communauté d’agglomération, l’État et dans certaines écoles d’art, Région, Conseils généraux) et enfin la direction sont les différents acteurs qui participent au fonctionnement et à la vie d’une école d’art.
À l’exception des usagers qui, pour des raisons tenant sans doute à la constitution historique des écoles d’art en régie municipale et à leur fonctionnement actuel, ne sont représentés dans aucune instance, ces acteurs se rencontrent et échangent au sein des différentes instances de l’école d’art : le conseil d’administration, le conseil pédagogique et le conseil scientifique. En plus de ces trois instances, l’École européenne supérieure d’art de Bretagne (EesaB), établissement multisite (Brest, Lorient, Quimper et Rennes) a mis en place un conseil de site (qui rassemble, au sein de chaque site, les étudiants, le personnel, la direction et les représentants de la ville du site) et un comité de direction (avec les quatre directeurs de site et la direction générale). L’EesaB, ayant une certaine taille car multisite, a dû aussi mettre en place un comité technique (avec une présidence assumée par le représentant d’une personne publique) et un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (rassemblant des représentants syndicaux et la direction).
L’EesaB étant positionnée sur trois départements, la gestion réglementaire des agents titulaires a dû trouver un mode d’organisation spécifique. La commission administrative paritaire du centre de gestion d’Ille-et-Vilaine (département du siège social de l’EesaB) gère la carrière de l’ensemble des agents de l’établissement. Trois comités médicaux sont gérés par trois centres de gestion départementaux et trois commissions de réforme ont dû être instituées sur chaque département (avec une représentation des syndicats et des personnes publiques de l’établissement dans deux des commissions hors du département du siège social).
La concertation au sein d’une école d’art, qui plus est dans une école d’art multisite implantée dans plusieurs villes, implique l’organisation de réunions intermédiaires qui vont préparer la prise de décision. Les personnes publiques peuvent se réunir en amont du conseil d’administration et en amont de la réunion des personnes publiques ; des réunions sont organisées entre la direction de l’EesaB et les services des Villes, de l’État et de la Région. Des groupes de travail pédagogiques regroupent des enseignants de plusieurs sites et la direction. Des réunions syndicats-direction se déroulent en amont du comité technique. Des réunions de travail entre l’administration générale et les administrations des sites permettent la mise en œuvre des protocoles de l’établissement.
L’école d’art-EPCC relève de l’environnement réglementaire qui est celui de la fonction publique territoriale et dispose des équipes qui sont celles des écoles d’art. La gouvernance et la place des acteurs dans les prises de décision sont questionnées et débattues au sein des écoles d’art qui ont hérité d’une organisation statutaire, l’EPCC, qui n’avait pas été pensée pour elles.
La taille critique de l’établissement multisite et son implantation géographique sur plusieurs territoires accroissent la complexité de son fonctionnement. Issu d’écoles d’art positionnées dans des villes ayant des fonctionnements et des protocoles différents, l’établissement multisite engage nécessairement une politique pédagogique commune et un travail d’harmonisation administrative et technique complexe. La multiplication des instances de concertation complique le fonctionnement, ralentit la mise en œuvre des décisions et trouve ses limites dans la difficulté à susciter des candidatures pour la représentation du personnel et des étudiants au sein de ces instances. La question de la bonne ou de la meilleure gouvernance possible au sein de l’école d’art est rendue encore plus complexe dans l’établissement multisite par le nombre d’acteurs éparpillés dans plusieurs villes et la nécessité d’actionner correctement et avec le bon timing les processus de concertation.
L’EPCC multisite, en se substituant aux écoles d’art municipales, a permis une représentation des étudiants au sein de l’instance de décision qu’est le conseil d’administration, représentation qui n’existait pas auparavant. La présence de seulement deux étudiants au sein du conseil d’administration, alors même que l’EesaB compte quatre sites, avait été vivement contestée par un collectif d’étudiants qui revendiquait une représentation adéquate des étudiants par site. La création de l’établissement réunissant quatre sites a, semble-t-il, donné le sentiment que le rôle respectif de chacun au sein de l’école avait été dilué dans un grand ensemble dénommé EPCC.
Aujourd’hui, c’est sans doute à travers les projets pédagogiques communs organisés entre les sites que l’établissement multisite trouve son efficience et la résonance la plus positive.
Laurent Arnaud
En 2012, Arts et métiers ParisTech, anciennement École Nationale Supérieure d’Arts et Métiers (ENSAM), était un établissement qui fonctionnait avec des écoles quasiment indépendantes en termes de gestion, même si elles partageaient le diplôme et le nom de l’école. La mise en place du statut de Grand Établissement a amené une restructuration complète de la gouvernance et de la vision stratégique de l’établissement à plusieurs années.
L’ENSAM est une école d’ingénieur qui apparaît dans quatorze sites distincts avec des statuts un peu différents. Il existe huit campus dans lesquels sont menées des activités d’enseignement, de recherche et de valorisation, c’est-à-dire, l’ensemble des missions de l’établissement. Il y a également trois antennes arts et métiers dans lesquelles ne sont menées qu’une ou deux de ces missions – il s’agit en général des missions de recherche en lien direct avec le territoire : Laval, Chalon-sur-Saône qui est rattaché administrativement au campus de Cluny que je pilote, et Chambéry en Rhône-Alpes, rattaché lui aussi au campus de Cluny. Enfin, dernière particularité, nous avons des accords avec d’autres établissements : l’École Navale, avec qui nous partageons un laboratoire de recherche (premier niveau de mutualisation de moyens), et l’École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie, localisée à Paris et rattachée administrativement. Nos quatorze sites représentent 5 800 étudiants et 1 100 enseignants, pour vous donner un ordre de grandeur en ce qui concerne le travail de structuration qui a été mené. Il faut savoir que, comme toute école d’ingénieur, notre socle de travail est un recrutement après des classes préparatoires (mathématiques, physique, technologie essentiellement). Il s’agit d’une formation généraliste sur trois années, avec des spécialisations possibles au niveau des masters et doctorats. Mais depuis deux ans, et de manière concomitante avec la structuration que l’on a menée, nous avons ouvert un recrutement post-bac, de type Bachelor, non pas pour dupliquer un recrutement basé sur les mathématiques et la physique, mais au contraire pour privilégier les filières technologiques : il s’agit d’un recrutement en post-bac STI2D (Sciences et Technologies Industrielles et du Développement Durable), afin de diversifier notre source d’étudiants et de recruter des étudiants particulièrement intéressés par la technologie.
Pourquoi avoir structuré un établissement national ?
La réponse est simple : pour travailler dans tous les domaines industriels. Au départ, nous avons identifié cinq grands axes de travail : le transport et l’énergie, notre cœur de métier, la santé, domaine où l’école est arrivée récemment en ayant du mal à avoir les moyens de se développer, l’habitat où l’ENSAM était quasiment absente, et la rénovation, autrement dit penser l’industrie du futur – dans la mesure où nous voulons être la grande école de technologie du futur, nous ne pouvons pas passer à côté de cet axe-là. Bien sûr, ces cinq domaines sont immenses et il a fallu structurer nos activités dans ces cinq domaines entre les différents sites.
Le dernier point qui me semble important de citer est que récemment le Gouvernement a voulu se donner un grand projet pour l’industrie. Nous avons fait une alliance « industrie du futur » et avons été retenus pour une raison essentielle : le fait que nous soyons un réseau national. Il y a deux réseaux d’écoles structurés au niveau national : le réseau arts et métiers et l’Institut Mines-Télécom. Le réseau centralien, qui est aussi un réseau national d’écoles, ne fonctionne pas comme un unique établissement ; il ne propose pas de coordination centralisée et donc le déploiement structuré d’une politique unique n’est pas possible.
Si la structuration au niveau national est essentielle, la présence sur les territoires l’est tout autant. Je vais prendre l’exemple d’un tout petit campus, celui que je pilote, le campus de Cluny qui est la plus petite ville universitaire sur le continent – la deuxième étant Corte en Corse. Cluny, ville de 4 500 habitants, est très connue pour son abbaye. L’école est installée au sein même de l’abbaye. Une convention datant de 1870 impose qu’il y ait une école dans l’abbaye. Quel est l’intérêt d’avoir une école perdue au milieu d’un site très agricole et dans lequel l’industrie n’est pas très présente ? L’intérêt est double. En termes d’aménagement du territoire, il est bon que des établissements publics s’implantent en zone agricole. En outre, cela permet d’éviter les concentrations étudiantes en offrant un cadre de vie agréable, différent, et des coûts peut-être plus raisonnés par rapport à ceux des grands sites universitaires. Par ailleurs, le territoire offre à l’école des opportunités. L’avenir de l’industrie ne se situe pas uniquement dans les grands groupes, qui peuvent connaître des problèmes d’adaptation et de dynamique d’évolution, alors que les PME présentes en Bourgogne sont des partenaires intéressants. Le campus de Cluny travaille annuellement pour environ deux millions d’euros de contrats industriels avec des partenaires qui sont essentiellement locaux. Bien entendu, parmi eux figurent aussi de grands groupes, mais 60 % d’entre eux sont des PME-TPE avec des contrats qui vont de 5 000 à 50 000 euros. C’est un atout de ce petit format d’école.
Nous faisons par ailleurs partie de la ComUE avec l’Université de Bourgogne, l’Université de Franche-Comté, l’Université de technologie de Belfort-Montbéliard, l’ESC Dijon (groupe privé), AgroSup Dijon et l’École Nationale Supérieure de Mécanique et des Microtechniques à Besançon. Nous avons élaboré un projet e-site, un grand projet de financement adossé au PIA (Programme d’investissement d’avenir) qui devrait nous permettre d’améliorer notre développement sur des axes d’excellence. Le Gouvernement et le jury international des projets e-sites, dans une première phase, ont apprécié que le site Bourgogne-Franche-Comté développe quelques axes très particuliers et d’excellence dans le paysage national, en ne souhaitant pas que ce soit réservé uniquement aux grands sites universitaires.
Le campus de Cluny concerne 500 étudiants dont 440 en formation initiale. C’est une petite école d’ingénieurs. Nous n’avons que deux laboratoires de recherche, l’un basé à Cluny et l’autre à Chalon-sur-Saône dédié à l’utilisation de la maquette virtuelle interactive. Nous travaillons dans quatre domaines de recherche, dans lesquels le campus de Cluny veut apparaître comme un campus fort au niveau national : les métiers de la fabrication (l’usinage, la forge, les déformations plastiques), l’industrie du bois et la valorisation des bois notamment locaux dans le domaine de l’industrie, en particulier dans la construction, la réalité augmentée – l’utilisation de la maquette numérique pour faire de la réalité augmentée ou de l’immersion virtuelle, notamment avec des cave, des espaces dans lesquels on se plonge en immersion virtuelle 3D – et les technologies liées à l’écoconstruction. Le campus de Cluny a voulu se positionner sur ces quatre axes et se donner des moyens de développement.
Chacune de ces thématiques peut être discutée, arrêtée ou développée. Par exemple, la mécatronique est identifiée au niveau du campus comme un axe essentiel de développement, nous voulons donc la renforcer ; nous sommes très forts en mécanique, donc nous maintiendrons nos efforts sur quelques campus et pas sur l’ensemble. Nous avons fait ce travail de manière globale, en ingénieur, en regardant où l’on avait de la production : est-ce scientifique ? Est-ce au niveau de l’innovation ou bien est-ce industriel ? Quelles sont les performances en termes de contrats, en termes de publications ? Cela nous a permis d’avoir une photographie très fine des forces et des faiblesses dans toutes les thématiques et pour chacun des campus. À partir de là, nous avons défini les thématiques sur lesquelles nous allions faire porter nos efforts. À Cluny par exemple, nous avons un leadership en immersion virtuelle. Nous développons un projet de trois ans pour l’obtention d’un équipement qui n’a pas d’égal aujourd’hui au niveau mondial, le projet Blue Lemon, de façon à renforcer notre position.
Pour conclure, la création de l’établissement national a permis de renforcer nos points forts, de développer des axes sur lesquels nous sommes peu présents mais sur lesquels nous voulons l’être, de mutualiser les moyens financiers et en ressources humaines (avoir un professeur de soudage dans chacun des campus par exemple est aujourd’hui totalement inutile), de gagner en responsabilité et de gagner en lisibilité (si un industriel s’adresse à nous, nous pouvons lui indiquer quel est le campus référent sur telle thématique, et en interne, cela permet de savoir plus aisément où il faut investir pour gagner en compétences). Cela implique aussi de revoir notre pédagogie. Cela ne veut pas dire de revoir notre diplôme mais que celui-ci sera généraliste : tout le monde ne fera pas de soudage ou de collage par rapport à l’assemblage des matériaux mais se focalisera sur un axe particulier.
Nathalie Poisson-Cogez [enseignante, responsable de la recherche et de la professionnalisation à l’École supérieure d’art du Nord-Pas de Calais Dunkerque-Tourcoing] Qu’en est-il au niveau de l’école d’art de Bretagne sur la spécificité des sites ? Est-ce que, comme pour les arts et métiers, une coloration a été choisie pour chaque site ? Quelles sont les options préparées dans chaque site et comment cela a-t-il été géré ?
Danièle Yvergniaux
Une école d’art, c’est d’abord une option art, généraliste. Et pour le moment, c’est un engagement relativement fort de l’ensemble des sites de garder une option art généraliste partout. Nous essayons de garder cette dimension généraliste de l’école d’art, centrée sur le projet de l’étudiant, tout en ayant quand même au niveau des quatre sites une offre différente avec des équipements différentiés et pointus, des spécificités qui offrent à l’étudiant un panel vaste de possibilités de production mais aussi d’interlocuteurs, d’enseignants qui sont tous des artistes et peuvent suivre tous les étudiants de l’établissement. Nous proposons aussi les options design (Brest et Rennes) et communication (Lorient et Rennes), ce qui évidemment colore aussi les sites.
Inge Linder-Gaillard [responsable des études et de la recherche à l’École supérieure d’art et design Grenoble-Valence]
Concernant les arts et métiers, le taux d’encadrement est étonnant : vous parlez de 5 400 étudiants pour 1 000 enseignants ?
Laurent Arnaud
La recherche est très développée. Ces ratios incluent toutes les personnes ayant une activité d’encadrement, soit une activité d’enseignement soit une activité de recherche soit les deux, à savoir les enseignants-chercheurs, les PRAG…
Hervé Alexandre
Comment se vivent les spécificités de sites de l’ENSAM pour les enseignants au quotidien et en termes de parcours professionnels ?
Laurent Arnaud
Un travail de proximité est fait avec les enseignants pour partager une vision des évolutions technologiques d’aujourd’hui et celles de nos étudiants dans leur manière d’apprendre et de se former. Par ailleurs, nos étudiants changent beaucoup plus facilement de sites qu’ils ne le faisaient auparavant.
Caroline Engel [responsable des études de l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne]
Comment gérez-vous, à l’école d’art de Bretagne mais aussi aux arts et métiers, la question de la mobilité entre les différents sites ? Est-elle inscrite et obligatoire ? Le cas échéant, les étudiants financent-ils eux-mêmes leurs déplacements ? Dans le cas contraire et si ce n’est pas constitutif du cursus, est-ce que vous le prenez en charge ?
Mathieu Ducoudray
À l’EesaB, sur les projets communs, le déplacement des étudiants est pris en charge.
Laurent Arnaud
À l’ENSAM, nous ne pouvons pas financer ces déplacements. Dans la mesure où nous appliquons la semestrialisation induite par le processus de Bologne, c’est d’un semestre sur l’autre que les étudiants peuvent changer de campus en ayant le même diplôme à la fin. Il s’agit de déplacements pour au moins un semestre, et non pour de petites durées, donc les étudiants les financent eux-mêmes.