1 Les formes institutionnelles de l’école d’art :
l’EPCC confronté à d’autres modèles2 La gouvernance de l’EPCC : le rôle des conseils
3 Quel contrat/statut enseignant pour quel projet pédagogique ?
4 Valoriser les initiatives étudiantes
5 Fusions, fédérations et mutualisations
6 L’école d’art dans le paysage de l’enseignement supérieur
7 L’école d’art, acteur du développement culturel et économique d’un territoire
8 Les conditions de soutenabilité d’une école d’art
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3 Quel contrat/statut enseignant pour quel projet pédagogique ?
Hervé Alexandre
Tous les intervenants de ce matin ont évoqué ce statut de l’enseignant ; ce n’était pas prémédité et c’était extrêmement symptomatique. Je remercie à présent Lydie Grondin et Eimer Birkbeck pour leur présence et leur regard croisé sur cette question dans le cadre de cette 3e séquence. Lydie Grondin, juriste, est directrice de l’agence Cultures et Collectivités Locales. Eimer Birkbeck, artiste, est professeur à l’École européenne supérieure d’art de Bretagne, précédemment professeur à la School of Art, Manchester Metropolitan University, et à la School of Art, Design and Performance, University of Central Lancashire, Preston.
Lydie Grondin
La question à aborder est celle de la carrière des enseignants dans les écoles d’art. Il y a des écoles d’art nationales et des écoles d’art territoriales qui semblent répondre, en ce qui concerne la construction statutaire, à deux logiques différentes.
En ce qui concerne la fonction publique territoriale, la construction de la filière a répondu davantage à un objectif de structuration, de service à la population. Dès lors, l’école d’art et le conservatoire sont des services comme les autres, qui sont donc gérés par des textes réglementaires qui s’appliquent indistinctement que vous soyez conducteur de véhicule à la morgue ou professeur d’école d’art. En même temps, le législateur s’est efforcé de préserver l’égalité de traitement et la carrière des agents, tout en préservant l’intérêt public, l’intérêt du service public, c’est-à-dire peut-être parfois l’intérêt de l’administration au sens noble. Ce qui fait que la filière, depuis 1991, a évolué dans une structuration qui était à la fois inévitable (il fallait constituer des filières et les regrouper par blocs de métiers) et progressive (les textes ont évolué et continuent d’évoluer – je pense au statut des assistants qui a évolué en 2012). En même temps, l’évolution est inachevée, puisqu’il y a, pour des écoles qui délivrent finalement les mêmes diplômes, par le décret de 1988 dans les écoles d’art, des carrières qui sont différentes.
Le législateur a fait des choix en constituant une filière de l’enseignement et de l’éducation artistique et culturelle. Je pense que c’est de là que naît peut-être une confusion. La culture « attractivité des territoires », c’est l’image d’une ville. Certaines et la plupart d’entre elles heureusement s’investissent beaucoup dans le fait culturel, mais nous avons privilégié l’enseignement et l’action culturelle à l’enseignement supérieur. Je rappelle que le professeur des écoles d’art territoriales fait partie de cadres d’emploi que l’on va retrouver pour d’autres disciplines (musique, danse, théâtre), alors que dans les écoles d’art d’État, on a un corps qui est spécifique aux professeurs d’écoles d’art du supérieur. Je pense que c’est là toute la différence. Dans la fonction publique territoriale, le principe de spécialité n’existe pas, alors que dans la fonction publique d’État concernant l’enseignement supérieur, on a des corps plus petits mais beaucoup plus nombreux. Or, les écoles territoriales délivrent les mêmes diplômes que les écoles nationales. Dans les autres secteurs de la fonction publique territoriale, je pense notamment aux conservatoires, on n’a pas du tout mis l’accent sur la valorisation des diplômes. C’est toute la différence. Dans les écoles d’art territoriales, on met en avant la valorisation des diplômes d’enseignement supérieur, mais avec des statuts qui ressemblent davantage à ceux de l’enseignement secondaire. Dans les écoles nationales, le cadre d’emploi des professeurs est structuré sur la base de régimes indemnitaires à peu près identiques à ceux du corps des maîtres de conférences, alors que ces écoles délivrent les mêmes diplômes que les écoles territoriales, et qu’en tant que fonctionnaires, les enseignants peuvent changer d’école par la voie du détachement et passer d’une école territoriale à une école nationale ou inversement.
J’ai fait un comparatif entre le statut des professeurs d’écoles nationales et celui des professeurs d’enseignement artistique (PEA) des écoles territoriales. On s’aperçoit qu’effectivement, hormis les épreuves des concours qui sont similaires, hormis la répartition par discipline qui est à peu près identique (sauf que dans la territoriale nous n’avons pas d’enseignement de langue, donc pas la nécessité d’organiser un concours dans ce domaine), l’échelonnement indiciaire valorise davantage le professeur d’école nationale, qui finit comme un directeur de 1re catégorie de conservatoire. Le niveau d’accès au concours est également plus élevé dans les écoles nationales (bac+5 dans les écoles nationales, bac+3 dans les écoles territoriales). Et, un point important, les tâches induites en dehors du face-à-face pédagogique sont identifiées dans le statut des professeurs d’écoles nationales, alors que pour les écoles territoriales, on a une phrase un peu sibylline : les professeurs enseignent en fonction des formations qu’ils ont reçues, et c’est à chaque établissement de structurer via une délibération le face-à-face pédagogique, les tâches induites, la concertation, etc.
Le statut des professeurs d’État est donc plus précis sur la désignation des missions. Sont valorisés les enseignements théoriques et les actions de coordination par un coefficient qui permet d’augmenter le traitement de l’agent. Concernant la progression de carrière, le conseil scientifique des écoles nationales donne un avis sur les conditions de travail des enseignants, ce qui n’est absolument pas le cas dans les écoles territoriales. Enfin, il existe dans les écoles nationales, pour faciliter le travail personnel de l’artiste-enseignant, une position statutaire spécifique, le congé pour étude et recherche rémunéré, qui est une forme de disponibilité payée qui n’existe pas dans les écoles territoriales. Dans la territoriale, on peut prendre une disponibilité pour monter une exposition, pour travailler pour soi, mais la carrière est suspendue sans rémunération tant que l’agent n’a pas repris son travail. Ce congé pour étude et recherche est peut-être l’aspect le plus facilement transposable, qui serait beaucoup moins coûteux qu’une renégociation salariale générale, et qui permettrait déjà de valoriser le travail des artistes.
Le dernier point concerne le régime indemnitaire qui, une fois de plus dans la territoriale, est calqué sur celui des enseignants du secondaire. Nous avons donc deux types d’écoles qui délivrent les mêmes diplômes avec des fonctionnaires d’État et des fonctionnaires territoriaux. Les territoriaux sont perçus de manière généraliste ; ils peuvent aussi enseigner la danse, ils sont donc assignés à des missions d’enseignement, mais ils ne sont pas réputés pour cela au regard de leurs statuts. Ces conditions de travail laissent plus de liberté à la collectivité gestionnaire pour organiser le temps de travail, la répartition des tâches, etc. Quant à la possibilité pour l’État d’annualiser le temps de travail, elle n’existe pas dans la territoriale, puisqu’au contraire l’annualisation a été rendue illégale.
Voilà les grandes différences pour des écoles qui délivrent les mêmes diplômes, avec des cursus similaires.
Pour avancer vers un statut adapté à l’enseignement supérieur au sein de la fonction publique territoriale, plusieurs questions se posent. Est-ce qu’on dissocie les professeurs territoriaux d’écoles supérieures d’art des autres professeurs de musique, danse, théâtre ? Est-ce qu’on crée un statut particulier ? Si oui, lequel ? Et combien cela va-t-il coûter ? J’ai fait une estimation. Si l’on adossait les enseignants territoriaux aux indices des enseignants d’écoles nationales, il faudrait trouver au moins 3,5 millions d’euros supplémentaires par an au niveau national[1], alors que les collectivités sont de plus en plus traversées par des compressions budgétaires.
Eimer Birkbeck
Je suis professeure d’art en anglais et je suis en charge des échanges internationaux depuis trois ans à l’École européenne supérieure d’art de Bretagne. Auparavant, j’ai enseigné à la Manchester School of Art pendant sept ans, ainsi qu’à la Preston School of Art pendant sept ans également. J’ai été invitée pour partager mon expérience de professeur d’art en Grande-Bretagne et la comparer avec mon rôle en France.
En Grande-Bretagne, si vous êtes professeur d’art, c’est que vous avez déjà une qualification d’enseignement post graduate diplome in teaching, qualification qui est demandée par les écoles. Très souvent aujourd’hui, dans le job description, le doctorat est exigé en plus pour un poste de professeur de peinture, de sculpture, par exemple. Cela s’explique par le fait qu’en Grande-Bretagne, les écoles d’art font partie du système universitaire depuis quelque temps déjà. Toutefois, dans les écoles appartenant au système universitaire, le temps de recherche n’est pas compté sur le temps d’exercice du professeur. Si vous êtes à plein temps, cela implique 4 jours par semaine dans l’école, 18 heures de contact avec les étudiants, 1 jour par semaine pour la recherche et environ 10 heures de tâches administratives. C’est pour cela que j’avais décidé d’être à temps partiel, afin de préserver ma pratique artistique. Être à plein temps aujourd’hui dans une école d’art en Grande-Bretagne laisse peu de temps à la pratique artistique. Vous êtes artiste mais votre pratique se passe autour des activités universitaires.
Mes collègues de Manchester par exemple ont commencé un doctorat en plus de leur poste de professeur d’art, très souvent dans la même institution, ce qui est demandé pour obtenir un niveau de recherche reconnu par l’institution. J’ai une collègue qui travaille à mi-temps et qui peut demander £ 1 000 par an pour soutenir sa pratique personnelle et £ 500 pour voyager, suivre ou participer à des conférences. Mais pour recevoir ces financements, elle doit aussi trouver un partenariat. Pour elle, c’est très positif. En revanche, j’ai un autre collègue qui est à plein temps et qui me dit qu’il a peu de temps pour sa pratique, mais qu’il a fait ce choix d’être à plein temps. Sa recherche, sa pratique artistique sont remplacées par le doctorat. On peut être à mi-temps aussi parce que les salaires sont deux fois plus élevés qu’en France. J’avais, à mi-temps en Grande-Bretagne, le même salaire qu’en France à plein temps. C’est pour cela que beaucoup d’artistes décident d’être enseignants à mi-temps.
La fusion avec le système des universités s’est produite après la Seconde Guerre mondiale. Auparavant les écoles d’art étaient assez expérimentales. C’est dans les années 1960 que la question de la recherche en tant qu’artiste-enseignant a changé. Et plus récemment, cela a encore beaucoup évolué. Pour moi, les côtés positifs de ces changements, c’est qu’il est très facile de monter un projet et de demander un financement. Il y a aussi des discussions régulières qui se tiennent chaque mois entre enseignants pour échanger sur leur recherche, sur leur pratique. Je suis ici depuis peu de temps, mais je n’ai pas retrouvé cela en France. En Grande-Bretagne, il y a un véritable espace dans les écoles pour échanger sur la pédagogie mais aussi sur la pratique artistique entre enseignants, les deux étant assez proches.
À Manchester, nous avons un département de recherche dans lequel quatre-vingts personnes font un doctorat de pratique. Ce département est extrêmement visible, il est au cœur de l’école d’art. Il y a de très nombreux projets, et ces projets ont une forte visibilité. Ce département comprend douze groupes de recherche. Et parce qu’ils sont visibles, ils sont également accessibles. Je n’ai pas retrouvé en France ce niveau de visibilité de ce qu’est la recherche dans une école d’art. En Grande-Bretagne, la recherche se passe entre le département de recherche et l’artiste-enseignant. Il n’est pas nécessaire d’exposer cette recherche dans l’école et cela peut prendre n’importe quelle forme ; il y a une certaine liberté dans ce que tu peux faire. Mais cela n’empêche pas qu’il y ait de la pression. Tous les ans, on a une réunion avec le directeur à qui il faut montrer ce que l’on a accompli en termes de recherche. C’est une obligation qui figure dans le contrat. Si je compare avec ce que j’ai vécu jusqu’à maintenant en Grande-Bretagne, il y a une certaine liberté quand on est professeur d’art en France, qui permet de passer deux jours dans l’école et d’avoir plus de temps pour soi. L’autre côté positif en France est l’absence de pression qui pèse sur les professeurs concernant le doctorat et l’avancée de leurs recherches personnelles à l’extérieur de l’institution.
Lydie Grondin
La description d’Eimer Birkbeck est intéressante car elle met en avant la question fondamentale du temps de travail ou de la manière dont il est employé. Elle parlait d’un face-à-face pédagogique de dix-huit heures avec les étudiants. Chez nous il est de seize heures en territoriale et de quatorze heures en nationale. Il y a un différentiel important en termes d’obligation de service. Vous avez souligné qu’il y a un jour de recherche, donc la visibilité de l’activité de recherche est importante dans d’autres pays. Cette visibilité de la recherche se retrouve identifiée en France dans les statuts des professeurs des écoles nationales, alors que dans la territoriale, l’activité de recherche est postulée, éventuellement incarnée par les enseignants, mais elle ne fait pas partie d’un levier d’action.
Hervé Alexandre
Lydie Grondin, je voudrais vous demander un conseil stratégique. Vous avez posé toutes les contraintes s’agissant du statut des PEA. Cela ne représente quasiment rien par rapport à la fonction publique territoriale en termes de quantité de personnels. Aujourd’hui on est sur une simplification de tout ce qui peut être législatif, statutaire, fonction publique, on va vers la réduction, donc il n’est pas dans l’air du temps de créer de nouveaux grades, de nouveaux cadres d’emplois pour un épiphénomène au plan national, etc. Quelles pistes poursuivre, de votre point de vue, par rapport aux enjeux essentiels que vous releviez dans l’intervention d’Eimer Birkbeck, pour arriver à définir des missions, à séparer les choses et à avancer de façon à répondre aux impératifs et aux blocages qui sont ceux des statuts des enseignants ?
Lydie Grondin
Il semble important de faire poids, d’avoir une discussion unifiée, de retravailler peut-être les éléments et les scénarios possibles et de travailler aussi avec les quelques établissements d’enseignement supérieur qu’on appelle les pôles supérieurs, qui peuvent être en EPCC ou en association, mais qui vont délivrer des diplômes d’enseignement supérieur dans le domaine du spectacle vivant. Peut-être faut-il se poser ces questions. Combien représentent tous ces enseignants qui seraient capables de faire de l’enseignement supérieur ? Sommes-nous sur des profils homogènes ? Les musiciens étant en effet assez nombreux par rapport aux professeurs d’écoles d’art, dans un établissement comme un conservatoire à rayonnement régional, on compte facilement une centaine d’agents, mais qui ne sont pas forcément à temps plein, pour une trentaine environ dans une école d’art mais sur des temps pleins. Peut-être faut-il s’allier ?
Ensuite, il est important d’aller travailler avec le ministère de l’Intérieur et le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale et ne pas se limiter aux débats de tribune. Il faut essayer de chiffrer pour que le ministère qui régit la fonction publique soit en mesure d’analyser le manque à gagner, et ensuite mobiliser les collectivités qui sont avant tout présidentes ou parties prenantes dans le financement. Que veulent-elles sur leur territoire ? Ne va-t-on pas encore réduire le nombre d’écoles d’art pour atteindre des masses critiques qui soient plus proches des échelles de l’université qui pourrait retravailler l’ensemble des diplômes ? Il me semble que d’ici une dizaine d’années, on va aller vers des EPCC musique danse théâtre et arts plastiques avec un vrai corpus d’enseignement supérieur, et là il y aura plus de matière pour négocier.
[1] Vérifications faites après enquête auprès des administrations des écoles supérieures d’art, il s’agirait plutôt de 6 millions d’euros, si l’on prend en compte tous les paramètres : décharges ou congés pour coordination ou recherche, coefficient pour les enseignements théoriques, reconfiguration des équipes pédagogiques le cas échéant…